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30/05/2007

Le message de l'homme "diminué"

d85eb18d4312ea022bd5d2d8cced0350.jpgIl y a dix ans, Jean-Dominique Bauby racontait, dans Le scaphandre et le papillon, ce qui lui était arrivé : journaliste connu, rédacteur en chef de Elle, il s'était retrouvé totalement paralysé, incapable de parler, à la suite d'un accident cardiovasculaire. Enfermé en lui-même avec, pour seule porte de sortie, la possibilité de cligner de l'oeil, pour signifier « oui » ou « non ». Dix jours après la sortie du livre, Jean-Dominique Bauby mourait. L'ouvrage connut un grand succès, mais il n'est pas sûr que l'on en ait mesuré, à l'époque, toute la signification. La semaine dernière, Julian Schnabel en présentait, à Cannes, l'adaptation cinématographique.

En dix ans, le paysage a changé. L'affaire Vincent Humbert est passée par là et le débat sur l'euthanasie s'est amplifié. Ce fut même, pendant quelques jours, un sujet de la campagne présidentielle. Il est vrai que les prouesses de la médecine permettent, aujourd'hui, de maintenir, dans une étrange survie, des accidentés ou des malades que l'on aurait, naguère, laissé mourir. Dès lors, la question du sens de la fin de la vie se pose d'une manière abrupte et nouvelle.

Par ailleurs, les progrès des techniques de dépistage prénatal, l'avancée des « nouveaux moyens de procréation » font surgir des interrogations comparables, à l'orée même de l'existence. Le professeur Sicard, président du Comité consultatif national d'éthique, a récemment tiré la sonnette d'alarme en disant que la société française était sans doute, en Europe, la plus allergique au handicap.

Donner la vie, à qui ? La prolonger ? Pour quoi ? Ces questions sont brutales, mais c'est bien ainsi que certains se les posent. Pas seulement celui qui souffre dans son propre corps, le handicapé, le malade, le mourant, lorsqu'il peine à trouver sens à la vie qui est la sienne. Mais aussi l'entourage : les parents, les amis, les collègues, voire les soignants, qui peuvent ne pas supporter le face- à-face, la charge, l'épreuve.

Enfin, l'irruption des nanotechnologies annonce, aux dires de certains, l'avènement d'un « homme augmenté », que des prothèses feraient échapper à sa finitude. Henri Atlan est allé jusqu'à envisager l'hypothèse de l'« utérus artificiel » qui « délivrerait », demain, la femme des inconvénients de la grossesse. Devant cette perspective de « sortie de l'humain », comment regarder l'homme « diminué », tel que l'était Bauby ?

Le film de Schnabel n'est pas un plaidoyer contre l'euthanasie, car il ne s'agit pas de tirer des leçons générales à partir d'un cas singulier. Le cinéaste, qui tente, avec beaucoup de talent, de faire entrer le spectateur dans le « scaphandre », dit, plus simplement, que cette histoire échappe à tout le monde... Comme elle a échappé à Bauby, le premier, pour l'étonner et surprendre son entourage, puis ses lecteurs.

Le film invite à prendre, dans ces situations impensables, le parti de l'échange, de la rencontre, d'un inconnu à découvrir. Si Bauby a écrit son livre, si nous pouvons, aujourd'hui, voir le film qui en est tiré, c'est notamment parce que deux femmes - une orthophoniste et une physiologiste - ont, un jour, accepté, contre toute raison, de prendre le temps d'être avec lui, parce qu'elles ont parié qu'il était possible qu'il se passe quelque chose. Parce qu'elles ont cru à la force du lien. Par ce lien mis à l'épreuve du temps - quelle patience pour prendre en note le livre de Bauby ! -, une fin de vie promise à l'insensé a pris un étonnant sens, celui de nous provoquer tous à ne désespérer de rien.

Cette parabole, pas seulement sur les ressources extraordinaires d'un homme au corps démoli, mais sur l'importance de la solidarité et, tout simplement, de l'affection, a, au fond, une portée politique.

 

Jean-François Bouthors, éditeur et écrivain.Editorial de Ouest-France, ce 30 mai 2007

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