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16/06/2008

Vive la philo

bac.jpgJ'ai trouvé très intéressant l'éditorial de Ouest-France de ce jour dont voici le texte complet:

 

Avec le camembert, la baguette de pain et le quart de rouge, la philosophie, en terminale, fait partie, depuis 1809, des originalités françaises. Le fait pour des adultes en herbe de pouvoir rencontrer, en tête-à-tête, de grands penseurs, de s'initier au jeu des concepts, de considérer connaissances et existence personnelle sous un jour nouveau, est plus qu'une originalité. C'est une chance, reconnue comme telle immédiatement et souvent... un peu plus tard.

Tout n'est pas rose pour autant. Et les professeurs de philosophie ne dissimulent pas la difficulté d'exercer cet art de l'éveil. Le contexte est, à certains égards, porteur, comme en témoigne le succès d'ouvrages et de magazines consacrés à la philo et à l'éthique. Mais il est, à d'autres égards, rudement plombant, du fait de cette manie butineuse génératrice d'une évidente difficulté de concentration. La « patience du concept » n'est vraiment pas le fort de notre temps !

Néanmoins, les vertus de cet exercice demeurent intactes, dès lors qu'une pédagogie judicieuse conjure le risque d'intimidation et de découragement.

La première d'entre elles reste l'étonnement d'un regard découvrant, sous l'écorce du quotidien souvent le plus banal, l'extraordinaire foisonnement problématique. Pour l'illustrer, une anecdote : Paul Ricoeur se promène sur l'île de Sein et, subitement, il tombe en arrêt devant des herbes rases, triomphant de l'austérité d'une chaussée de galets. « Regardez, dit-il, avec un étonnement ravi, combien la vie l'emporte sur l'inerte ! »

Voilà, en un instant, une chose si modeste transfigurée en motif de surprise et, de proche en proche, en interrogation sur l'élan vital qui parvient à vaincre ce qui l'entrave ou le nie. On imagine bien cet homme déjà âgé, dissertant sur ce « malgré tout » qu'il affectionnait tant et en tirant une philosophie de l'espérance. C'est le génie de la philosophie que de découvrir d'un regard renouvelé tant de réalités dont l'habitude voile l'insondable richesse : l'amour, le pouvoir, le désir, le mal, le tact...

Dans le même temps, peut commencer à s'expérimenter l'acte, non plus de savoir, mais de penser. Ce qui exige le courage de s'exposer au triple risque de la conviction, de l'incertitude, dans un brouillard jamais complètement dissipé, de l'erreur aussi comme provocation à la poursuite du travail intellectuel et spirituel. C'est par là que la philosophie se hisse à son juste niveau, celui d'un exercice critique s'aidant des puissances de la raison pour rejoindre sa visée propre : « Penser par soi-même », selon l'exhortation de Kant.

Mais « penser par soi-même » ne signifie en rien « penser seul ». Au contraire ! Une réflexion bien menée suppose une modestie déjà philosophique : le « je sais que je ne sais rien » de Socrate. Elle suppose aussi d'admettre qu'une tradition d'au moins trente siècles de débats et questionnements ne peut que nous aider à formuler nos propres questions et, le cas échéant, à orienter vers de possibles réponses.

Comme le disait saint Bernard de Clairvaux, « nous sommes des nains juchés sur des épaules de géants. Ils nous aident à voir plus loin ». Ce que se refusait à admettre cet étudiant qui, à la question « que pensait Aristote de la justice ? », me répondit : « Ce qu'il en pensait m'importe peu. L'essentiel, c'est ce que moi j'en pense. » Une belle prétention fondée sur la confusion si commune entre « opinion » et pensée argumentée au prix d'un long travail d'élaboration.



(*) Professeur de philosophie du droit à Brest.

Jacques Le Goff (*)

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