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06/08/2010

Vincent La Soudière

La nuit obscure de Vincent La Soudière

Le premier des trois volumes de la correspondance de cet écrivain sans œuvre met à nu sa profonde blessure



soudiere.jpgEcrivain sans œuvre, ou presque, Vincent La Soudière connaît un étrange destin posthume. Le premier des trois volumes d’une correspondance qu’il entretint, de 1964 à sa mort en 1993, avec un ami prénommé Didier dessine le visage d’un homme tourmenté qui fit de la littérature un enjeu existentiel décisif et paradoxal. Ainsi, derrière la longue confession d’un homme qui souffrit tant pour trouver une raison de vivre, se formule, balbutiante, une question centrale sur l’acte d’écrire et sa justification spirituelle. Question moins destinée à recevoir une réponse qu’à être inlassablement relancée par celui qui disait : «Je ne suis pas de taille à exister.»

Mais parlons d’abord de la personne de Vincent La Soudière, telle que la dépeint son éditrice, Sylvia Massias. Né en septembre 1939, il est l’aîné d’une famille nombreuse charentaise qui connaîtra en 1960 un grave revers de fortune. Études à Sainte-Croix de Neuilly puis en philosophie à la Sorbonne. Santé physique et nerveuse fragile. Entre 1961 et 1964, il fait plusieurs séjours dans des monastères et s’interroge sur sa vocation. Il renoncera, peut-être en raison de ses relations amoureuses : «La chair complique tout, empeste tout, enténèbre tout», écrira-t-il un jour. Au monastère de l’île de Lérins, en 1964, il rencontre Didier, qui devient son ami et confident. Sa vie est alors instable, précaire. Petits métiers, nombreux voyages, notamment au Danemark et en Espagne. Tentatives de cure psychanalytique. Vie comme suspendue dans un présent dévasté… «La distance est devenue trop grande entre le monde et moi. Je ne vois plus les choses ni les êtres. Je ne perçois plus que ma rétractation devant tout, je n’entends plus que le hurlement de mon vide.»

En 1970, il se lie avec Henri Michaux qui reconnaît en lui, au travers des textes qu’il lui donne à lire et surtout de ses lettres, un «homme de la vie intérieure» et un écrivain en douloureuse gestation. Il rencontrera également Cioran. En 1974, quelques pages de lui sont publiées, grâce à Michaux et à John E. Jackson, dans la Revue (suisse) des Belles-Lettres. Toujours à l’initiative de Michaux, paraîtront en 1974, chez Fata Morgana, des Chroniques antérieures, belles et bouleversantes pages de prose qui brillent d’une lumière noire : ce sera son seul livre publié. En 2003, Sylvia Massias rassemblera des fragments posthumes sous le titre Brisants. Et aujourd’hui, ces lettres.

Partout, cette interminable explication avec lui-même, cette « incomplétude» comme «source». Obscure, tâtonnante, souvent récusée, la quête de Dieu est néanmoins présente entre les lignes, lors des rémissions du «cancer spirituel qui dévore (son) âme»…
«La Grande Rencontre n’a pas eu lieu – n’aura sans doute jamais lieu. Je vis du poids de son attente.»

On reconnaît quelques échos lointains, assourdis de l’époque, surtout dans les manières de penser. Pas un mot de Mai 68. En 1974, il vote Giscard. Vincent La Soudière semble entièrement requis par ses propres tourments et démons intérieurs : «La folie, la mort rôdent.» Douloureux «apprentissage» dont il dit un jour être «secrètement averti (qu’il) ne finirait jamais». Il lit beaucoup – de Montherlant, Julien Green et André Gide à Pascal et Jacques Maritain – avec une grande acuité critique. Acuité qu’il exerce aussi à l’égard de lui-même, lorsqu’il n’est pas dans la colère, l’invective ou l’amertume. Comme nous le disions, la grande question reste la littérature et le devenir écrivain. Par la force et la sincérité, souvent la lucidité, de cette interrogation, une œuvre peu à peu se construit au fil de ces lettres, et sans doute de celles à venir. Elle peut bien être informe, elle n’en est pas moins vraie et belle.

PATRICK KECHICHIAN  (La Croix début Juillet 10)

Vincent de la Soudière
Edition Cerf 700 p., 32 €

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