Naviclerus

Soixante prêtres à la mer pour de bonnes causes

Marie-Lucile Kubacki - publié le 04/08/2011 dans LA VIE

Ils participent à la première édition de Naviclerus, une course à la voile au profit d’œuvres caritatives organisée à La Trinité-sur-Mer du 1er au 4 août. Reportage.

Le jour se lève sur le port de La Trinité-sur-Mer et dans le petit matin, le chant du Je vous salue Marie s’élève du pont d’un voilier. Au milieu de ce chœur improvisé, Jean-Marie Levert, évêque de Quimper. Comme 59 autres prêtres, séminaristes, diacres et moines, il participe à la première édition de la Naviclerus, une régate de religieux organisée au profit d’associations caritatives. Lui navigue sur le Breizh Spirit. « Je suis un évêque breton ! Et j’aime la mer. J’ai passé mon enfance à Papeete, j’ai fait l’école navale… Sur la mer, on est soi-même. On ne triche pas face aux éléments. » Pas de triche, donc, mais de l’authenticité. Chacun vient comme il est. De 22 à 76 ans. De France ou d’Afrique. En soutane, en jeans, avec ou sans col romain, en robe de moine ou avec un sweat aux couleurs des prochaines JMJ. « Mon souhait était d’organiser des vacances entre religieux, explique Fabrice du Haÿs, organisateur de la régate et jeune prêtre de 33 ans, ordonné il y a un mois. Des vacances où le loisir ait une dimension spirituelle et solidaire. » 

Dans un esprit de compétition bon enfant, pendant quatre jours, les 60 participants répartis sur huit bateaux défient les éléments. 15 000 € de dons seront partagés entre les équipages, en fonction de leur classement, pour être ensuite redistribués aux associations : Fidesco, Arche, Massabielle, Aide à l’Église en détresse (AED), Amigos de Jesús, Saint-Jean Espérance, Secours catholique et Pour un sourire d’enfant. Le projet, mis en place il y a un an et demi, est soutenu par des bénévoles et financé par des investisseurs privés. Le loueur de bateaux a consenti une remise substantielle.

Loups de mer et novices cohabitent au sein d’un même équipage. Claude Babarit, doyen de la course et skipper du groupe qui navigue pour l’association Aide à l’Église en détresse fait partie de la première catégorie. Pour d’autres, comme Pierrick Audren, séminariste au Prado à Lyon et assistant social, c’est une découverte. Alors, quand le commissaire de course donne les dernières instructions et explique le langage des bannières, des regards anxieux parcourent l’assistance. Les plus consciencieux prennent d’ultimes notes. Mais l’essentiel n’est pas là. « Il tient en deux mots : communion et gratuité », rappelle Denis Broussat, prêtre exorciste du diocèse de Perpignan. Communion sportive, car la navigation a ici une très forte dimension symbolique : « En hissant la grand-voile, remarque le prêtre, nous emportons avec nous toutes les églises qui souffrent. De manière générale, le bateau est une image de l’Église. »

Un pour tous, tous pour un. Sur le même bateau. Et pour Claude Babarit : « Celui qui tient la barre, c’est le Christ ! » Ceux qui ne se connaissaient pas il y a quelques jours apprennent à trouver leur place. Comme le frère Jacques, de la communauté de Saint-Jean, arrivé du Cameroun un peu plus tôt qui découvre la manœuvre sur un voilier de 10 mètres et tient absolument à dormir à bord. Ou Pierrick Audren, qui accompagne les chants marins de Claude Babarit à la flûte traversière, tandis que deux de leurs coéquipiers piquent une tête dans la mer. « Aujourd’hui, les jeunes prêtres sont davantage en recherche de vie fraternelle, explique Fabrice du Haÿs. Un frère qui peut s’appuyer sur un autre frère est une citadelle imprenable ! » Alors, les échanges vont bon train. Anthony Chadwick, prêtre anglican de 52 ans se réjouit du projet de Benoît XVI d’accueillir des communautés anglicanes dans l’Église romaine. Pudiquement, il évoque sa situation de « prêtre marié ». Les personnalités se détachent et l’humain pointe sous la fonction. Les vacanciers s’arrêtent, étonnés, devant ces surprenants équipages et posent des questions.

« Si cela permet de casser les images dans lesquelles on nous enferme, alors, tant mieux ! se réjouit Édouard Roblot, prêtre du diocèse de Nantes. Beaucoup de gens s’imaginent que le prêtre ne vit que dans l’église et j’en ai vu frapper à la porte principale en pensant que j’habitais à l’intérieur. » Dans la rue, l’aube blanche de l’évêque de Quimper suscite bon nombre de réactions. Une dame s’arrête et admire la croix pectorale : « C’est beau ça ! Pour mon premier jour en Bretagne, croiser l’évêque… » Cela va bien au-delà de la communication ou du folklore. La prière est omniprésente, des laudes de 8 heures aux vêpres de 19 heures. Sur les flots, on dit les Psaumes, dans le grand silence du large. Le commissaire de course s’amuse de la situation : « Ils cherchent des grâces pour gagner. » Depuis un voilier, une voix retentit : « Oui, mais les derniers seront les premiers. »