29/02/2012
Retrouver une vie intérieure
« J'ai le sentiment que, pour les hommes et femmes de notre temps, la vie intérieure compte de moins de moins. » Le constat de la philosophe Marie-Madeleine Davy n'a rien d'un scoop. C'est l'évidence. Et l'on peut se demander si, pour la plupart, la notion même de « vie intérieure » a encore du sens.
Prendre le temps de s'arrêter ? De rompre avec le rythme trépidant du monde pour s'interroger sur soi et sur son rapport aux autres, à la société ? Cette idée en ferait pouffer de rire plus d'un : « Mais vous n'y pensez pas ! Il ne s'agit pas de perdre une minute avec ces vieilles lunes alors qu'il y a tant à faire. Vous vous trompez d'époque ! La « vie intérieure », on en parlait lorsque la religion dominait encore. Mais aujourd'hui, tout cela est si loin... »
À vrai dire, ce discours n'est pas absolument inédit. Au XVIIe siècle, déjà, le grand Pascal se déclarait convaincu que « tout le malheur des hommes vient d'une seule chose qui est de ne savoir pas demeurer en repos, dans une chambre ». Et, dans les années 1930, Paul Valéry observait : « Nous sommes enfermés hors de nous-mêmes ». Il aurait donc pu dire « exfermés ».
La nouveauté vient de ce que ce type de comportement a fini par se banaliser. Il devient la norme dans une « société liquide » dont les mots d'ordre, dans une atmosphère d'apocalypse joyeuse, sont la « sensation » (forte, si possible), le « fun », la glisse et le surf sur des existences qui donnent l'impression d'être réduites à leur écorce. D'où la part invraisemblable qu'y occupe aujourd'hui l'apparence, dès le plus jeune âge. La géographie de nos villes renseigne sur le déplacement des centres d'intérêt vers les vêtements, chaussures, parfums, lunettes... sans parler des banques, qui occupent tout l'espace de notre société de la séduction et du spectacle permanent.
Il faut plaire à toute force pour s'estimer soi-même. Et parmi tous les facteurs qui nous ont amenés là, l'accélération du rythme social a eu un rôle décisif. Elle agit comme une centrifugeuse, projetant la vie personnelle du centre vers la périphérie. Au point que, comme l'univers global, toujours selon Pascal, l'univers personnel a sa circonférence partout et son centre nulle part.
On arrive ainsi à ce paradoxe : faute de prendre au sérieux la dimension intérieure, lieu d'ancrage de l'existence, bien des gens la voient les submerger après de grands moments de tourbillons. Mais cette vie intérieure-là se manifeste sur un mode négatif, celui de la pathologie dépressive, de l'enfermement sur soi, naissant de la prise de conscience dramatique du vide et de l'insignifiance de l'existence. On pourrait parler du syndrome Marilyn ou, peut-être, de Whitney Houston. Cette manière si commune de faire passer le langage des corps avant celui des coeurs n'est-elle pas une forme de court-circuit révélant une grande méprise sur le sens et la dynamique de la vie personnelle ? À donner dans le superficiel, on s'expose aux déconvenues de l'artificiel.
Que faire ? Peut-être réapprendre à « méditer », en se souvenant de l'origine médicale de ce mot qui signifie « porter remède ». Et le faire en se désintoxiquant de tant de préoccupations, si souvent frivoles, pour retrouver chez « l'homme sans gravité » que nous sommes, un vrai centre de gravité, dans une vie intérieure où la joie vient avec l'équilibre. Ce qui suppose de respirer profondément « l'arôme du silence » (1).
Editorial de Ouest-France du lundi 27 février 2012
Jacques Legoff, professeur de droit public à l'université de Brest.
(1) Gilles Baudry, Nulle autre lampe que la voix, Rougerie.
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