05/03/2015
Je veux écrire
Je veux écrire pour la beauté du regard, pour la pureté du langage. Je veux écrire pour essayer de rejoindre le vieil horizon, si net, pareil à un fil, et le ciel clair au-dessus de la mer. Je veux écrire pour être près des nuages blancs dans le ciel sombre, près de la lumière serrée du soleil, près des cimes des montagnes, là où seuls vont les éperviers. Je veux essayer d’être immédiatement là où mon regard se termine, là où il s’agrandit et reçoit sa joie. Je veux écrire pour être du côté des animaux, des enfants, du côté de ceux qui voient le monde tel qu’il est, qui connaissent toute sa beauté. Pour essayer de trouver une parcelle de cette vertu qui ne m’a pas été donnée à la naissance, mais qu’un visage de femme, ou d’enfant, au hasard de la foule un jour m’a montrée, comme le reflet d’une lueur étrangère aussi belle que le jour. Je veux écrire pour que cette clarté dure encore quelques instants, pour que le monde réel, vivace, reste encore quelques secondes dans la musique des mots. (…)
Je veux écrire pour une autre parole, qui ne maudisse pas, qui n’exècre pas, qui ne vicie pas, qui ne propage pas de maladie. Quand le monde, à l’aube, est tendu, transparent et pur comme une gemme, air clair, mer bleue, rochers étincelants, ciel immense, horizon où les vagues sont visibles ; quand le monde, à midi, est parcouru de terrible victorieuse lumière, et que les arbres sont incendiés, et que l’asphalte mou reçoit les marques de pneu des voitures ; quand le monde glisse dans le crépuscule du soir lentement, s’apaise parmi ombres et fumées ; quand le monde est dans la nuit noire, froide et dense, et que rutilent les milliers d’étoiles, quelquefois, une seule lune… Comment alors peut-on désirer autre chose, comment peut-on dire autre chose ? Pourquoi l’homme a-t-il trahi le monde ?
J.M.G Le Clezio, in « Inconnu sur la terre »
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