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12/12/2015

Vitrail et tamis

Article paru dans le numéro de décembre de la revue Paix et Joie de la Société des Prêtres de St François de Sales:

Pourquoi j’écris ? Je n’en sais rien. C’est comme ça.

Ecrire, c’est accrocher aux initiales fleuries des saisons
la remorque des jours, les chapitres de son Histoire.
Ecrire, c’est vouloir retrouver dans le miroir des années
le visage inconnu de l’enfant qu’on était.
Ecrire, c’est rêver à l’aune de ses révolutions
l’idée mûre qui dressera le château de nos trésors enfouis.
Ecrire, c’est puiser dans le sang de ses blessures
la médecine de ses résurrections
(inédit)

ecrire.jpgJ’ai conscience d’avoir reçu un don. Et tous les jours je remercie Dieu, le créateur, tout à la fois poète et potier. Il paraît que c’est le même mot dans la Bible.

Potier ou poète, peu importe, dans ton langage tu es les deux.
Tu as façonné le monde avec tes mains, avec tes mots aussi (…)
(inédit)

Voilà pourquoi devant Dieu, je ne peux qu’être humble, moi tiré de l’humus et partageant ma vie avec mes frères de route sur cette terre. Ainsi, je suis sensible à la beauté des choses et des êtres, beauté cachée parfois à l’image de la discrétion de Dieu, sensible aussi à la partie plus sombre de ce monde, persuadé qu’il y a du beau partout car Dieu est partout présent et il nous aime.

Par expérience, j’ai appris que le poète ne regarde pas le monde de l’extérieur, il n’est pas un rêveur solitaire comme on se l’imagine souvent. Au contraire, il est à l’écoute, il a les yeux ouverts. C’est la condition nécessaire pour épouser l’histoire des hommes et pouvoir prononcer une parole au nom de ceux qui cheminent avec lui et qui n’ont pas toujours les mots pour exprimer ce qu’ils vivent. Il est prophète, porte-parole.

Le poète est un vitrail qui filtre la lumière, un tamis qui retient les scories pour ne donner que le meilleur. Un poème n’est réussi que lorsqu’il entre en communication avec son lecteur ou auditeur et qu’il lui délivre une parole qui suggère, transporte et met en route.

Le poète n’écrit pas pour lui mais pour les autres. De ce point de vue, le poète et le prêtre ne font qu’un, un même ministère de la parole les unit.

Ainsi, les événements liés à Charlie Hebdo m’ont inspiré cette réflexion sur l’homme, sa fragilité mais aussi sa capacité de se reprendre :

ô mon frère,
brandis ton crayon !

ce n’est pas une mine de charbon
mais de l’or à foison
un trésor que tu tiens
entre tes mains

tu veux crier ? écris un poème !

bouge-toi
et le vent s’en mêlera

va plus loin que loin
vers la fin sans fin

et si le brouillard est une fumée sans feu
et si derrière un homme
il n’y a jamais qu’un homme

toi tu as
de la puissance rêveuse à vendre
et ce que tu veux c’est la vie
avec la lumière qu’elle procure
(inédit)


La récente actualité des réfugiés m’a aussi inspiré ce long poème :

La guerre roule derrière nous
son feu, son fer,
l’enfer nous poursuit jour et nuit
sans répit jusqu’à la mer. (…)

Nous sommes un peuple sans tanière,
sans gîte et sans couvert ;
pas de refuge pour qui fuit.

Nous n’avons que nos lambeaux de peau
pour nous couvrir les os,
peau huilée de l’exil,
peau iodée de l’exode.

Et devant nous, la mer
comme un tapis de prière,
dernier ourlet du continent
auquel résignés nous tournons le dos. (…)

Nous secouons la poussière,
les fourmis de nos sandales,
les scorpions de nos talons,
avant de prendre le cargo, le bateau, le radeau. (…)

Les yeux sans paupières
et le regard blanc,
un enfant meurt de faim
au sein de sa mère.

Et c’est la colère à voix basse,
colère à la merci de la mer.

Et nous voici meurtris,
fruits mâchés pour pourrir
au vent salé.

Et nous voici livrés
à la gueule de l’inconnu,
happés par la langue des sirènes.

Dieu, que fait-il ?
où est-il dans notre exil ?
Dieu, qui est parole
que dit-il dans notre exode ?

« Fais-nous revenir !
que ton visage s’éclaire
et nous serons sauvés ! »

Mais la nuit verse son encre
et rien ne s’écrit.

S’en remettre à demain
s’il nous donne la main,
si l’espoir allume son phare
aux horizons lointains.
(inédit)

Ces poèmes-cris ressemblent aux psaumes qui sont à mes yeux les plus beaux poèmes de l’humanité criant tour à tour sa joie et sa détresse. Ils sont aussi Parole de Dieu qui ont pris chair en Jésus, nomade sur les chemins de Palestine.
Mais toute la Bible n’est-elle pas le récit de mouvements de populations ; de errants et de pèlerins sur toutes sortes de chemins ; d’hommes, de femmes et d’enfants qui ont soif d’amour, de liberté, de Dieu ?

Nous sommes tous de ces errants
voulant toucher du doigt
les portes du mystère

Mais las de nos pèlerinages
nous laissons tomber nos genoux
sur le sable de nos déserts

Et nous nous reposons dans le silence
en écoutant battre le pouls
du Levant qui s’avance vers nous

(Après toi languit ma chair – 1992)

Pour conclure ou plutôt pour ouvrir sur la prière, car le poème peut se faire parfois prière, voici une courte méditation sur l’homme qui se reçoit de Dieu et sur la joie de Dieu qui créé l’homme par sa Parole. Poème d’inspiration salésienne. (IVD 1ère méditation)

A tout moment

Tu me prononces
et je suis
Tu me regardes
et je souris

Et me voici
rose entre tes mains
tirée
du vrai rien

Je ne suis pas grand-chose
mais tu te souviens de moi

Ô Dieu
est-il pour toi
plus beau cadeau
que cette éclosion ?

(Les jours sans bagages – 2004)

TP

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