19/07/2018
Rageur et poignant
Je viens de terminer la lecture du nouveau livre d'Edouard Louis: un texte rageur et poignant, son meilleur livre à mon goût. Ci-dessous, je reproduis la critique avec laquelle je suis le plus d'accord. TP
Quatre ans après son best-seller «En finir avec Eddy Bellegueule», Edouard Louis évoque son père dans un livre rageur et poignant où le pardon s'accompagne d'un propos très politique.
Il n'y a pas de point d'interrogation dans le titre. Sans ce point, le «Qui» de «Qui a tué mon père», le nouveau livre d'Edouard Louis, signale que la réponse est dans la question. Les noms viendront en fin d'ouvrage, à l'issue de moins de 100 pages bouleversantes et peu à peu chauffées à blanc.
Car ce Picard de 26 ans, auteur, en 2014, du best-seller «En finir avec Eddy Bellegueule», qui s'appela vraiment Eddy Bellegueule avant de modifier son patronyme à l'état civil en 2013, devenu depuis un auteur mondialement traduit qui anime régulièrement desconférences de sociologie politique -c'est le cas ces jours-ci à New-York- a réfléchi.
Les douloureuses images du passé
Celui que sa famille brima car il n’était pas assez viril à ses yeux a choisi de revisiter les douloureuses images du passé en recentrant la focale sur son père. Le portrait qu'il en fait dès les premières pages est celui d'un homme physiquement détruit. Il résonne avec les mots imprimés au dos de l'ouvrage: «L'histoire de ton corps accuse l'histoire politique.» Tout le sujet du récit y est concentré, nimbé d'une volonté de pardonner à un personnage plus complexe qu'il ne l'avait jamais laissé paraître. Ainsi, hors du flot des souvenirs qui lui valaient crachats, insultes et viols, sans compter la honte affichée de ce père devenu alcoolique et violent que son épouse finit par jeter dehors, Edouard Louis a extrait des moments de douceur, des instants d'affection et de complicité.
N'est-ce pas cet homme, aujourd'hui au RSA, le dos broyé par une charge qui lui est tombée dessus à l'usine, qui vanta l'«intelligence» de son fils auprès d'un professeur? Ce même papa qui avait aimé la danse dans sa jeunesse alors qu'il l'avait tant conspuée ensuite? Ou l'homme qui s'était témérairement ruiné pour un coffret du film «Titanic» dont Edouard rêvait pour Noël ? Cela et d'autres choses. L'épisode d'un camion emballé broyant la voiture familiale avant que le chauffeur ne prenne la fuite mêla le père et l'enfant dans les larmes. «Est-ce que tu m'avais déjà fait comprendre que nous faisions partie de ceux que personne ne viendrait aider ?»
Les responsables sont au sommet de l'Etat
Aux yeux de ce miraculé de l'éducation, autodidacte, qui se passionna à 16 ans pour un ouvrage du philosophe et sociologue Didier Eribon, les responsables de ce désastre sont au sommet de l'Etat. Et derrière son regard si doux, Edouard cogne à tour de bras: sur Jacques Chirac et son ministre de la Santé Xavier Bertrand, déclarant non remboursables des médicaments contre les troubles digestifs; sur Nicolas Sarkozy et Martin Hirsch, imposant le RSA : «Tu allais perdre ton droit aux aides sociales. On ne te proposait que des emplois à mi-temps, épuisants, physiques (...) Payer l'essence (...) t'aurait coûté trois cents euros par mois»; sur François Hollande et sa ministre du Travail Myriam El Khomry, initiatrice de la loi du même nom. Ou déplorant des formules dans lequel l'écrivain ne relève que mépris : telle cette phrase d'Emmanuel Macron : «La meilleure façon de se payer un costard c'est de travailler». «Il renvoie ceux qui n'ont pas les moyens de se payer un costume à la honte, à l'inutilité, à la fainéantise.» Ce mot de «fainéant» que Monsieur Bellegueule, justement, a toujours exécré.
« Qui a tué mon père », édition Seuil, 80 pages, 12€
Pierre Vavasseur
BIO EXPRESS
30 octobre 1992 : naissance d’Eddy Bellegueule à Hallencourt (Somme).
2006 : s’installe à Amiens.
2010 : intègre l’Ecole normale supérieure. Etudie les sciences sociales et la philosophie.
2013 : publie « Pierre Bourdieu, l’insoumission en héritage» (PUF). Modifie son état civil. Devient Edouard Louis.
2014 : publie « En finir avec Eddy Bellegueule » (Seuil).
2016 : « Histoire de la violence » (Seuil).
3 mai 2018 : « Qui a tué mon père » (Seuil).
16:00 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)
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