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15/07/2019

Des enfants rois aux enfants juges

chaud.jpgComme la faune chassée d’une forêt en feu, les générations futures font irruption dans le présent, fuyant un avenir promis à la catastrophe. Nos propres enfants sont des réfugiés climatiques qui tambourinent aux portes de nos chambres à coucher. À force d’espoirs déçus, d’un sommet climatique à l’autre, nous leur avons volé l’espérance, la vertu naturelle de l’enfance.

 

Nos enfants ne sont pourtant pas des amoureux de la nature : urbains de corps ou de cœur, ils s’aperçoivent que la ville elle-même est un écosystème qui se détraque à force d’oublier les lois mêmes de la biosphère. Greta Thunberg, la jeune Suédoise d’à peine 16 ans, nous lance, en leur nom à tous : « Je ne veux pas que vous soyez pleins d’espoir, je veux que vous paniquiez ! » Tel est le cri d’un enfant qu’on prive de son avenir, qu’on prive non seulement de la nature sauvage ou de l’agora, mais aussi de la sécurité de son foyer.

« Après moi, le climat ! »

Quand on prive quelqu’un de son futur, on le prive du sens de son travail, de son couple… On le prive de l’envie, voire de la nécessité de grandir, de se construire. Nous sommes ces parents à jamais célèbres pour avoir donné la vie sans donner un monde.

À chaque génération, la natalité devait nous permettre de renouveler un monde commun. Or, nous avons mis au point un modèle de monde non renouvelable, à la fois physiquement et moralement, car indéfendable. La catastrophe environnementale est la continuation d’une gigantesque crise de la transmission entre les générations : transmission non plus de valeurs ou de savoirs, mais de la possibilité même de vivre une vie humaine.

C’est à présent nos enfants qui se sentent tenus de protéger le monde. Ils sentent que nous les poussons implicitement à une guerre mondiale qui relancerait la croissance, notre insubmersible fétiche. Ils sentent que le prix payé par la planète pour les progrès sociaux a été trop lourd, et qu’ils auraient pu être atteints par d’autres voies. Contemplant notre inertie, ils nous soupçonnent enfin de vouloir être les derniers à profiter de la Terre, de jouir des bons côtés de la fin du monde, de quitter le navire en murmurant : « Après moi, le climat ! »

Fiers de notre réchauffement climatique

Voici donc qu’en défilant dans les villes du monde, ils se livrent à un exercice de pédagogie inversée, qui, à vrai dire, avait commencé dès le sommet de Rio de 1992, où une jeune fille de 12 ans avait tenu les mêmes propos et récolté les mêmes applaudissements polis. Les réseaux sociaux n’existaient pas encore et l’écho est aujourd’hui immense.

Mais combien de visages, d’animaux ou d’êtres imaginaires devront déclamer notre apocalypse profane avant que les adultes ne réagissent ? Tout se passe comme si nous restions secrètement fiers de notre réchauffement climatique, preuve de notre puissance sur la nature, preuve de notre existence - après tout, ce dioxyde de carbone sort aussi de nos poumons.

 

Il est consternant qu’une société ait poussé à ce point la pulsion de mort qu’elle doive être rappelée à l’ordre par ses nouveau-nés, qui auraient droit à la confiance et l’insouciance. Les enfants rois furent longtemps notre alibi pour une société d’excès, ils sont devenus nos juges.

Dalibor Frioux (Ouest-France 9 juillet 2019)

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