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07/02/2020

Nous sommes tous des poètes

Le-cercle-des-poetes-disparus.jpgRegardez un enfant en train d’écouter un poème : vous ne verrez que de la joie. Il chante, il danse, il tape dans ses mains en suivant le rythme et les rimes des mots tout neufs qu’il vient de découvrir. Il n’y a pas si longtemps, ma fille a emporté un recueil de poèmes à l’école, pour pouvoir partager ses textes préférés avec la maîtresse. L’après-midi, quand je suis allée la chercher, je l’ai trouvée assise sur un banc au milieu de ses petits camarades, chantant en chœur le refrain de Zim zam zoom, un poème espiègle de James Carter. Spectacle réjouissant, mais triste, aussi car je savais que j’assistais à un moment qui ne se répéterait pas éternellement. Dans quelques années, ma petite fille amoureuse de poésie ne scandera peut-être plus ces strophes ; le passage du temps faisant son office, la magie et la fête de la poésie finiront par disparaître.

Le-cercle-des-poetes-disparus2.jpgJe vais souvent à la rencontre d’adolescents dans les écoles ou lors de festivals, et je prends toujours soin de ne pas déclarer d’emblée que je vais leur parler du pouvoir de transformation propre à la poésie. Je ne suis pas idiote ! Je sais bien ce qui se passerait, je l’ai vu tant de fois : il suffit de dire à ces ados qu’on va parler de poésie pour qu’ils lèvent les yeux au ciel - et encore, ils prennent parfois un air beaucoup plus féroce. Comment expliquer cela ? Pourquoi des enfants de 7 ans sont-ils ouverts à la poésie, tandis que des ados de 14 ont peur d’elle, ou, pire, montrent les dents ? Et pourquoi ce changement d’attitude n’advient-il pas face à d’autres formes d’art ? Les ados continuent d’aimer les arts visuels, le cinéma, la musique et la danse. Serait-ce la poésie elle-même qui se transforme ? Devient-elle moins existentielle ? Bien sûr que non. Voilà ce qui se passe : d’abord éprouvée intérieurement, avec le cœur, la poésie semble se cantonner ensuite à une pratique purement intellectuelle. A qui la faute ? Approchez-vous un peu. Je vais vous le dire tout bas, dans un soupir un peu excédé : c’est la faute des adultes, et tout particulièrement des adultes qui enseignent la poésie.

enfant poete.jpgJe sais, je viens de pointer mon ennemi très sévèrement du doigt, mais attention : je suis tout à fait prête à me mettre dans le même sac. J’ai été prof de littérature pendant dix ans, et moi aussi, je me suis rendue coupable du même forfait : ne pas savoir au juste comment enseigner la poésie à ces adolescents. Ne me comprenez pas de travers, évidemment que je voulais leur faire aimer les poèmes, mais il ne faut pas oublier qu’ils avaient des examens très importants à passer, et il me semblait donc plus crucial que ces élèves comprennent les textes qu’ils devaient étudier, qu’ils soient en mesure de décortiquer et de recracher leur leçon face à un examinateur impatient, plutôt que de s’amuser avec les mots. Je n’avais tout bonnement pas le temps de me transformer en une version moins brillante de Robin Williams dans le Cercle des poètes disparus. Et puis, l’école ne m’aurait pas remerciée. Et les parents non plus. Mais les enfants ? Avec le recul, peut-être qu’un peu d’anticonformisme ne leur aurait pas déplu.

A l’école, les élèves ont d’abord l’impression que la poésie leur appartient, mais cette impression s’estompe, et ils considèrent bien vite qu’ils ne sont pas à même d’apprécier les poèmes ou d’y réagir à moins d’avoir compris le texte dans ses moindres détails. J’ai assisté à des cours où l’on demandait aux élèves d’aborder le poème en commençant par souligner tous les mots qu’ils ne comprenaient pas. Tu parles d’une entrée en matière !

 

Traduit de l’anglais par Alexandre Pateau.

Sarah Crossan, auteure irlandaise

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