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26/07/2022

Peter von Kant

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J'apprécie beaucoup le cinéma de François Ozon. "Peter von Kant", en hommage au cinéaste Fassbinder, est très fort et beau, avec un Denis Ménochet qui enfin possède un rôle à la hauteur de son talent, une Isabelle Adjani toujours aussi jeune, une Hanna Schygulla qu'on a plaisir à revoir et un Khalil Gharbia rayonnant. François Ozon a le talent de dénicher de nouveaux talents et de faire appel en même temps aux icônes les plus célèbres. Un grand film!

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24/07/2022

Tu seras mon père

arditi.jpg« Tu seras mon père » ou comment les Brigades rouges, mouvement terroriste d’extrême-gauche qui aura marqué de manière sanglante les années 70-80, vont dévaster l’enfance d’un Italien « beau comme un dieu ». L’écrivain franco-turc Metin Arditi livre un roman aussi bouleversant que précis sur ces « années de plomb » italiennes…

Renato, sept ans, malgré un léger handicap de surdité, vit une enfance enchantée dans une famille bourgeoise de Vérone. Il adore son père, Francisco Barro, directeur d’une fabrique de glaces, les meilleures d’Italie. Renato en raffole surtout quand son père lui demande d’en trouver tous les ingrédients : « C’était leur rituel… Dans de tels moments, le bonheur de Renato était à son comble, comme si toutes les raisons qui le rendaient heureux s’étaient données rendez-vous : le plaisir de dévorer une glace bien tendre, la complicité avec son père, le sentiment de sécurité qu’il ressentait lorsqu’il se trouvait à l’atelier, là où son père était très respecté des ouvriers. » Là, tout s’effondre quand Francisco est enlevé par un commando des Brigades rouges. Les tractations s’éternisent (on apprendra bien plus tard pourquoi) et quand l’homme d’affaires est libéré, après le versement d’une rançon et deux mois de captivité éprouvante, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Il se suicide. Son épouse Gabriella fuit en Suisse avec toute sa maisonnée. Renato est anéanti, seulement réconforté par Rosa, la gouvernante qui le considère comme son fils. Quand, onze ans plus tard, Gabriella, sa mère, juge que son purgatoire a assez duré, elle retourne à Vérone pour se marier et …« retrouver le monde civilisé ». Elle inscrit Renato à l’Institut Alderson de Lausanne, un internat pour familles huppées, histoire de mettre du champ entre elle et son fils…
« Ecris-moi souvent, même des lettres courtes. Chaque jour au déjeuner, on distribue le courrier. C’est important de ne pas se sentir « mis au dépôt », si tu vois ce que je veux dire », lui écrit-il. Beaucoup de ses camarades de classe sont, comme lui, des enfants délaissés par de riches parents. Parmi les professeurs, un certain Paolo Mantegazza, un Italien, responsable des activités théâtrales et, comme Renato Barro, passionné de haute montagne. Une admiration réciproque ne tardera pas à s’installer entre eux deux. Renato est un élève brillant et Paolo Mantegazza un enseignant pédagogue et raffiné. Il fait découvrir à son élève Elias Canetti, « un philosophe. Lui aussi avait perdu son père très jeune. A l’âge de sept ans je crois». Leur même passion pour le théâtre les réunira quasi intimement.
Chaque année, le lycée monte un spectacle théâtral avec tous les élèves. Non sans arrière-pensée, Paolo Mantegazza choisit Pirandello « Chacun sa vérité », une pièce qui joue sur le doute : Que sait-on des choses et des gens ? Ce qu’on en voit ou ce que l’on croit en voir et, bien souvent, ce que l’on aimerait qui soit. « Une pièce de l’absurde », remarque Renato. Mais le hasard réserve parfois bien des surprises et on découvre assez rapidement que Paolo Mantegazza est la nouvelle identité de la tête pensante des Brigades rouges, Paolo Rivolta, celui-là même qui avait organisé le kidnapping du père de Renato. « Hier après-midi, j’avais devant moi Gabriella Barro et son fils Renato. Tu imagines le choc », écrira l’ex-brigadiste à son ami Giancarlo.
Metin Arditi, dans un style haletant, va alors s’attarder sur la réaction de l’enseignant ex-terroriste, qui avait, assez rapidement, compris qui était son élève et celle de Renato qui finira par découvrir, avec une longueur de retard, la véritable identité derrière laquelle se cache son professeur Paolo Mantegazza. Sera alors éventé le parcours chaotique de ce professeur au passé on ne peut plus trouble et de son engagement idéaliste et meurtrier à sa prise de conscience et à sa repentance. « L’immense bonheur s’était effondré », reconnaîtra amer, de son côté, le jeune Renato pour qui le chemin sera long et bien plus difficile. Il devra quitter la Suisse et l’Italie, pour se reconstruire et apprendre à réguler ses sentiments. Il lui faudra pour cela la complicité… d’une glace parfum vanille !
En marge de ce face-à-face dramatique, interviennent d’autres personnages qui ont tous des fêlures, la belle prof de danse Josy, métis américaine, la directrice de l’Institut Bérangère-Hugues, qui porte, telle une croix, le comportement de batifoleur de son ex-mari et Nadelmann, un prof d’allemand et de philosophie, grand admirateur d’Hölderlin, qui ne supporte pas, néanmoins, son prénom, Adolf.
Metin Arditi dissèque avec délicatesse la question de la paternité, de la fraternité mais aussi celle de l’engagement pour une cause qu’on croit juste mais dont le jusqu’au-boutisme s’avérera vénéneux. Le titre du roman « Tu seras mon père » fait écho au poème de Kipling « Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie / Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir / … / Tu seras un Homme, mon fils. »

  1. « Tu seras mon père », de Metin Arditi, éd. Grasset, mai 2022

Dominique Lorraine

Source

Un beau livre qui laisse place au difficile pardon.

Voir aussi

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07/07/2022

L'homme qui marche

Notre Dieu s'est fait homme

Pour que l'homme soit Dieu
Mystère inépuisable
Fontaine du Salut

Quand Dieu dresse la table
Il convie ses amis
Pour que sa vie divine
Soit aussi notre vie

 

Le Seigneur nous convoque
Par le feu de l'esprit
Au banquet de ses noces
Célébrées dans la joie

Nous sommes son Église
L'épouse qu'il choisit
Pour vivre son alliance
Et partager sa vie

 

Merveille des merveilles
Miracle de ce jour
Pour nous Dieu s'abandonne
En cette eucharistie

Chassons toute indolence
Le Christ est parmi nous
Accueillons sa présence
Et offrons-nous à lui

 

Il frappe à notre porte
Le Seigneur tout-puissant
Il attend humble et pauvre
Mendiant de notre amour

Dénué d'arrogance
Sous l'aspect de ce pain
Il se donne en offrande
Pour demeurer en nous

 

Que nos cœurs reconnaissent
En ce pain et ce vin
L'unique nécessaire
Qui surpasse tout bien

Ce que nos yeux contemplent
Sans beauté ni éclat
C'est l'amour qui s'abaisse
Et nous élève à lui

 

Parolier : Marc Dannaud

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Christophe Saccard

 

L'homme qui marche

 

Il marche. Sans arrêt, il marche. Il va ici puis là. Il passe sa vie sur quelque soixante kilomètres de long, trente de large. Et il marche sans arrêt. On dirait que le repos lui est interdit.

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Il va tête nue. La mort, le vent, l'injure, il reçoit tout de face, sans jamais ralentir son pas. A croire que ce qui le tourment n'est rien en regard de ce qu'il espère. A croire que la mort n'est guère plus qu'un vent de sable. A croire que vivre est comme il marche  -  sans fin.

 

L'humain est ce qui va ainsi, tête nue, dans la recherche jamais interrompue de ce qui est plus grand que soi. Et le premier venu est plus grand que nous : c'est une des choses que dit cet homme. C'est l'unique chose qu'qu'il cherche à faire entrer dans nos têtes lourdes. Le premier venu est plus grand que nous : il faut détacher chaque mot de cette phrase et le mâcher, le remâcher. La vérité, ça se mange. Voir l'autre dans sa noblesse de solitude, dans la beauté perdue de ses jours. Le regarder dans le mouvement de venir, dans la confiance de cette venue. C'est ce qu'il s'épuise à nous dire, l'homme qui marche : ne me regardez pas, moi. Regardez le premier venu et ça suffira, et ça devrait suffire.

 

Il va droit à la porte de l'humain. Il attend que cette porte s'ouvre. La porte de l'humain, c'est le visage. Voir face à face, seul à seul, un à un. Dans les camps de concentration, les nazis interdisaient aux déportés de les regarder dans les yeux sous peine de mort immédiate. Celui dont je n'accueille plus le visage  -  et pour l'accueillir, il faut que je lave mon propre visage de toute matière de puissance - celui-là, je le vide de son humanité et je m'en vide moi-même.

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Ce qu'il dit est éclairé par des verbes pauvres : prenez, écoutez, venez, partez, recevez, allez. Aucune de ces paroles à demi voilées, à demi données, dont l'obscurité permet aux maîtres d'asseoir leur maîtrise.

 

Il ne parle pas pour attirer sur lui une poussière d'amour. Ce qu'il veut ce n'est pas pour lui qu'il le veut. Ce qu'il veut, c'est que nous nous supportions de vivre ensemble. Il ne dit pas : aimez-moi. Il dit  : aimez-vous. Il y a un abîme entre ses deux paroles. Il est d'un côté de l'abîme et nous restons de l'autre. C'est peut-être le seul homme qui ait vraiment parlé, brisé les liens de la parole et de la séduction, de l'amour et de la plainte.

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Il dit qu'il est la vérité. C'est la parole la plus humble qui soit. L'orgueil, ce serait de dire : je la détiens, je l'ai mise dans l'écrin d'une formule. La vérité n'est pas une idée mais une présence. Rien n'est plus présent sue l'amour. La vérité, il l'est par son souffle, par sa voix, par sa manière amoureuse de contredire les lois de pesanteur, sans y prendre garde.

 

Que des millions d'hommes se soient nourris de son nom, qu'ils aient peint son visage avec de l'or, fait retentir sa parole sous des coupoles de marbre, cela ne prouve rien quant à la vérité de cet homme. On ne peut accorder crédit à sa parole en raison de la puissance historique qui en est sortie : sa parole n'est vraie que d'être désarmée. Sa puissance à lui, c'est d'être sans puissance, nu, faible, pauvre  -  mis à nu par son amour, affaibli par son amour, appauvri  par son amour. Telle est la figure du plus grand roi d'humanité, du seul souverain qui ait jamais appelé ses sujets un à un, à voix basse de nourrice. Le monde ne pouvait pas l'entendre. Le monde n'entend que là où il y a un peu de bruit et de puissance. L'amour est un roi sans puissance, dieu est un homme qui marche bien au-delà de la tombée du jour.

 

                     Extraits de: " L'homme qui marche" . Christian Bobin    Ed. Le temps qu'il fait