17/02/2012
Enivrez-vous
Enivrez-vous !
Il faut être toujours ivre.
Tout est là : c’est l’unique question.
Pour ne pas sentir l’horrible fardeau du Temps qui brise vos épaules
et vous penche vers la terre,
il faut vous enivrer sans trêve.
Mais de quoi ?
De vin, de poésie, ou de vertu, à votre guise.
Mais enivrez-vous.
Et si quelquefois,
sur les marches d’un palais,
sur l’herbe verte d’un fossé,
dans la solitude morne de votre chambre,
vous vous réveillez,
l’ivresse déjà diminuée ou disparue,
demandez au vent, à la vague, à l’étoile, à l’oiseau, à l’horloge,
à tout ce qui fuit, à tout ce qui gémit,
à tout ce qui roule,
à tout ce qui chante, à tout ce qui parle,
demandez quelle heure il est ;
et le vent, la vague, l’étoile, l’oiseau, l’horloge, vous répondront :
Il est l’heure de s’enivrer !
Pour n’être pas les esclaves martyrisés du temps,
enivrez-vous ; enivrez-vous sans cesse !
De vin, de poésie ou de vertu, à votre guise.
(Charles Baudelaire, les petits poèmes en prose)
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