05/10/2016
La page blanche
La page blanche fait peur. Elle fait pâlir. Elle est l’angoisse de l’écrivain et du poète comme celle de l’élève en panne sèche au début d’un devoir. Elle est inquiétante, redoutable, vertigineuse. Elle est un miroir sans tain, un puits tari, une nappe sans pain ni raisin.
Elle est pourtant l’outil du poète, la pauvreté de ses moyens avec son frère le crayon à la fois pinceau chatoyant et arme de combat. Moins onéreuse que la toile du peintre, moins coûteuse que le piano du musicien compositeur, moins chère que tous les artifices des faiseurs de rêves et des magiciens de music-hall.
Le poète face à la page blanche est seul devant le néant. Il a tout à créer comme au matin du monde, tout à fleurir pour de belles récréations, tout à donner quand le vent la fera s’envoler, tourner et retourner sous des yeux affamés de lumière, avides d’éternité.
Le poète pose un mot, puis deux et quelques autres. La page, visage livide sans regard, s’illumine timidement, car toutes les étincelles n’allument pas un feu. Il faut parfois se frotter au silex du silence, laisser crisser quelques sentiments d’inquiétude, laisser sécher quelques bois impurs. Mais quand le feu prend, c’est d’abord un petit brasier consolant, de petits crépitements de joie secrète, une saine et sainte satisfaction naissante comme une promesse chargée d’immenses paradis. Puis c’est l’incendie, celui qui ne brûle pas, le buisson ardent derrière lequel Dieu se cache. La muse s’amuse mais Dieu diffuse dans cette création sa présence silencieuse.
Puis le poète efface. La gomme est son outil préféré. Aucune rature ne doit devenir un mot et aucun mot une rature. Tout doit être pur, aussi blanc que la page au commencement, pour que ressuscite dans la lumière pascale une création trop longtemps enfouie dans la nuit, pour que se purifient toutes les scories du langage à l’eau d’une fontaine ouverte et généreuse, pour que s’allument les millions d’étoiles du ciel au feu qui donne jour à la vie.
Et lorsque la gomme efface davantage que le crayon n’écrit, la page se retrouve aussi blanche qu’au commencement. Et ce n’est pas dans le néant et sa torpeur que le poète va se jeter mais dans le royaume où les mots sont devenus transparents, le royaume où le poète lui-même va s’effacer devant la présence du seul Poète nommé d’un mot qu’on ne devrait jamais écrire ni prononcé : Dieu.
TP
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