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02/03/2009

Le bateau ivre

rimbaud.jpg

Le bateau ivre

Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.

J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.

Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.

La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !

Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.

Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;

Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !

Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !

J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !

J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !

J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !

J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !

J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !

Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !

J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.

Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...

Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !

Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;

Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;

Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;

Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !

J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?

Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !

Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.

Arthur Rimbaud

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01/03/2009

Le balbutiement de l'ineffable

A la veille du début du Printemps des Poètes, voici quelques propos sur la poésie par le poète et moine Gilles Baudry:

Gilles Baudry : La poésie est à la fois du côté du balbutiement et de l’énonciation. C’est l’expression d’une expérience ineffable, une approche pleine d’inédit, d’imprévisible. On avance. On ne sait pas où cela nous mène. La poésie requiert une qualité d’attention et de recueillement qui renvoie, pour le croyant, à l’écoute de la Parole de Dieu. Mais la foi descend par l’oreille chez le poète. Comme le théologien, il fait entrer dans le mystère mais il se contente de suggérer, il affirme rarement, il ne donne pas de réponses toutes faites et même pas de réponses du tout. La poésie est un langage source, premier, comme une langue maternelle, un langage qui privilégie beaucoup les rapports voilement – dévoilement. Elle rappelle que la foi, qui requiert, par ailleurs l’exercice de la raison, demeure un mystère. « Qu’il est grand le mystère de la foi ! », dit la liturgie.

Le poète est à l’aise, par exemple, quand il étudie et qu’il médite le Cantique des cantiques, qui nous montre que Dieu est à la fois connu et inconnu et que l’on ne peut pas mettre la main sur Lui. La poésie nous protège contre l’idolâtrie. Le poète est celui qui se tient aux aguets. Derrière le réel, la nature, la création, il discerne l’éternel. Je pense que la théologie a été souvent trop conceptuelle – elle a tendu la main aux sciences humaines mais rarement à la grande littérature – sauf dans la liturgie, bien sûr, qui est l’Art de Dieu. Quoi de plus poétique que la veillée pascale ! La lumière, l’eau, le feu : tous les éléments sont rassemblés. Pour moi, le poème éveille nos sources. C’est une traduction du silence, qui parle, qui nous parle. Les mots du poème sont plus que des mots, ils deviennent des paroles natives, nutritives.

Voir aussi ICI.

Pays aux vents de haute lisse
Où brodent les fougères
Où d’herbe en arbre
La sève remonte le fil de sa mémoire

Pays
Où le secret est un bouche à oreille
De la part des sources

L’air grisolle

Peut-être déjà la clairière
L’estuaire, le battement des siècles
De tout l’immense

Fragilité bienheureuse
d’aimer
De vivre sous le don
Sans autre ligne d’horizon
Intérieur que l’ordinaire des jours.


Extrait de “La Seconde lumière”, Rougerie, 1990.

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27/02/2009

Devenir cendre

desert.jpgBrûlé du feu de l'amour, mon désir est de devenir cendre. Foulé aux pieds, mon désir est de devenir route. Traversant la multitude vers le pays de l'unité, ouvrant la foi vers l'infini, mon désir est d'être désert.

A travers lesépreuves, à la rencontre de l'Amant, l'océan une fois atteint, mon seul désir est d'être lac.

Sans égard pour les ruses intimes, sans illusion pour les promesses, sur la branche de la roseraie d'amour, mon seul désir est d'être rose.

Koul Himmet, poète musulman

 

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26/02/2009

De chute en chute

Un vieux rabbin racontait à ses enfants:

"Chacun de nous est relié à Dieu par un fil. Et lorsqu'il commet unefaute, le filest cassé.

Mais loirsqu'on regrette sa faute, Dieu fait un noeud au fil.

Du coup, le fil est plus court qu'avant. Et le pécheur est un peu plus près de Dieu!

Ansi de chute en chute, de faute en repentir, de noeud en noeud, nous nous rapprochons peu à peu du Seigneur.

Finalement, chacun de nos péchés est ainsi l'occasion de raccourcir d'un cran la corde à noeuds et d'arriver plus près du coeur de Dieu.

Tout est grâce."

(Texte juif tiré de "Paraboles pour aujourd'hui" de Jean Vernette. Ed Droguet et Ardant)

 

 

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25/02/2009

Cendres

cendres.jpg

Tu m'as confié l'amour et le don,
tu m'as confié la paix et le pardon,
tu m'as confié la lutte
et le salut du monde,
tu m'as confié la joie
et l'avenir du monde.

Mais j'ai oublié la grâce reçue de toi.
Tout est parti en fumée
par mon indifférence,
par ma volonté,
et c'est mon péché.
Il ne reste que les cendres
de la beauté passée
et dans mon coeur ne demeurent
que les résidus de mon être
appelé aux plus hautes fonctions.

Vois, Seigneur,
c'est tout ce qui me reste
du bel héritage à moi confié.

Pourtant, Seigneur,
à tes yeux, je crois,
rien n'est jamais joué
et même les cendres et les résidus
gardent la puissance de germer.

Aussi me lèverai-je aujourd'hui,
je prendrai mes cendres
et je les convertirai
en terre à semailles.

Car mes cendres
sont la terre nouvelle
qu'il m'appartient de créer
et d'habiter.

Mes cendres fertilisées par ta grâce
seront ma terre renouvelée
où l'Evangile étendra ses racines
largement.

Vois, Seigneur,
les cendres sur mon front
et dans mes mains
sont déjà la promesse
de la moisson à venir !

Anonyme

24/02/2009

Marie, Jeanne, Gabrielle...

Louis Capart :"Marie Jeanne Gabrielle"  1982

Marie-Jeanne-Gabrielle
Entre la mer et le ciel
Battu par tous les vents
Au raz de l'océan
Ton pays
S'est endormi
Sur de belles légendes
Illuminant son histoire
Gravées dans la mémoire
Des femmes qui attendent
Les marins
D'île de Sein

Raconte-nous l'enfant que tu étais
Courant du sable fin aux galets
Parle-nous de ces jeunes gens
Sautant les feux de la Saint-Jean
On pouvait croire au paradis
En ce pays
Chante-nous si tu t'en souviens
Pour passer le Raz de Sein
Le Cantique à Sainte-Marie
Qu'on ne chante qu'ici !

Marie-Jeanne-Gabrielle
Entre la mer et le ciel
Battu par tous les vents
Au raz de l'océan
Ton pays
S'est endormi
Sur de belles légendes
Illuminant son histoire
Gravées dans la mémoire
Des femmes qui attendent
Les marins
D'île de Sein

La peine et l'ennui, de l'automne à l'été
On ne vit qu'au rythme des marées
De la naissance au grand Sommeil
Règne le flambeau de la Vieille
On mêle la cannelle
Au parfum des chandelles
On dira pour embarrasser
La mort : "Joie aux Trépassés"
Car sur cette terre fidèle
Les âmes vont au ciel

Marie-Jeanne-Gabrielle
Entre la mer et le ciel
Battu par tous les vents
Au raz de l'océan
Ton pays
S'est endormi
Sur de belles légendes
Illuminant son histoire
Gravées dans la mémoire
Des femmes qui attendent
Les marins
D'île de Sein

Quand le jour s'achève au-dessus de la Grève
Sur la pierre écorchée de l'île
On croit voir au fond de la brume
Comme des feux qu'on allume
Ou la barque ensorcellée
Qui apparaît
Menaçante, elle vient jeter
La peur sur les naufragés
Et le noir habille la vie
Des femmes du pays

Marie-Jeanne-Gabrielle
Entre la mer et le ciel
Battu par tous les vents
Au raz de l'océan
Ton pays
S'est endormi
Sur de belles légendes
Illuminant son histoire
Gravées dans la mémoire
Des femmes qui attendent
Les marins
D'île de Sein

La vie a changé sur le court chemin
Du Néroth à Saint-Corentin
On ne reste plus très longtemps
Isolés du continent
Même les Anciens ne reviennent
Qu'au printemps
Et la mer a tourné le dos
Aux pêcheurs des temps nouveaux
Elle entraînera les marins
Loin de l'île de Sein

Marie-Jeanne-Gabrielle
Entre la mer et le ciel
Battu par tous les vents
Au raz de l'océan
Ton pays
S'est endormi
Il garde son histoire
Au plus profond des mémoires
Et l'on dit à Paris
Qu'il est beau le pays
Des marins
D'île de Sein