05/03/2009
Trois poèmes de...
Trois poèmes de Raymond Queneau:
Un poème
Bien placés bien choisis
quelques mots font une poésie
les mots il suffit qu’on les aime
pour écrire un poème
on ne sait pas toujours ce qu’on dit
lorsque naît la poésie
faut ensuite rechercher le thème
pour intituler le poème
mais d’autres fois on pleure on rit
en écrivant la poésie
ça a toujours kékchose d’extrème
un poème
Pour un art poétique
Prenez un mot prenez en deux
faites les cuir' comme des oeufs
prenez un petit bout de sens
puis un grand morceau d'innocence
faites chauffer à petit feu
au petit feu de la technique
versez la sauce énigmatique
saupoudrez de quelques étoiles
poivrez et mettez les voiles
Où voulez vous donc en venir ?
A écrire Vraiment ? A écrire ?
L’inspiration
De son juchoir
la poule laisse choir
un oeuf
c’est une imprudence
un moment d’absence
mais il tombe pouf
dans la paille :
la fermière était prévoyante
combien de poèmes brisés
que ne recueille aucun recueil.
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04/03/2009
N'être
Un nouveau poème sur Soc et Foc
19:00 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)
Pour faire le portrait d'un oiseau
Peindre d'abord une cage
avec une porte ouverte
peindre ensuite
quelque chose de joli
quelque chose de simple
quelque chose de beau
quelque chose d'utile
pour l'oiseau
placer ensuite la toile contre un arbre
dans un jardin
dans un bois
ou dans une forêt
se cacher derrière l'arbre
sans rien dire
sans bouger ...
Parfois l'oiseau arrive vite
mais il peut aussi bien mettre de longues années
avant de se décider
Ne pas se décourager
attendre
attendre s'il le faut pendant des années
la vitesse ou la lenteur de l'arrivée de l'oiseau
n'ayant aucun rapport
avec la réussite du tableau
Quand l'oiseau arrive
s'il arrive
observer le plus profond silence
attendre que l'oiseau entre dans la cage
et quand il est entré
fermer doucement la porte avec le pinceau
puis
effacer un à un tous les barreaux
en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau
Faire ensuite le portrait de l'arbre
en choisissant la plus belle de ses branches
pour l'oiseau
peindre aussi le vert feuillage et la fraîcheur du vent
la poussière du soleil
et le bruit des bêtes de l'herbe dans la chaleur de l'été
et puis attendre que l'oiseau se décide à chanter
Si l'oiseau ne chante pas
c'est mauvais signe
signe que le tableau est mauvais
mais s'il chante c'est bon signe
signe que vous pouvez signer
Alors vous arrachez tout doucement
une des plumes de l'oiseau
et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau.
08:02 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)
03/03/2009
A quoi sert un artiste?
A quoi sert un artiste ? Que seraient la Bretagne si elle n’était dansée, les Caraïbes si elles n’étaient pas racontées, l’Algérie si elle n’était chantée ? L’esclavage s’il n’y avait le blues ? Ne resterait que l’esclavage !Ceux qui vivent de l’audace des autres manquent-ils à ce point de respect pour leurs frères humains, les saltimbanques, pour si peu considérer ces hommes et ces femmes qui accompagnent leurs enfers et entrouvrent leurs paradis en disant, chantant, et dansant leurs morts et leurs vies ? A quoi servent les artistes dans ce monde qui préfère les chiffres aux lettres et dont la folie des chiffres menace de nous faire chavirer dans le chaos ?Que celui qui n’a besoin ni de chansons, ni d’images, ni de poèmes, ni de romans, ni de films, ni de pièces de théâtre, ni de musique, pour que se dise sa vie quand il ne sait plus la dire, pour que s’écoule son chagrin quand il ne sait plus pleurer, que celui-là tranche la gorge aux oiseaux. Que celui qui n’a pas besoin d’artiste retienne ses larmes à jamais et brise par avance ses éclats de rire.
Yvon Le Men, poète
08:00 Publié dans Réflexions spirituelles | Lien permanent | Commentaires (3)
02/03/2009
Des rimes aux rires
La 11e édition de cette manifestation dédiée à la poésie se tiendra dans toute la France du 2 au 15 mars. Au menu cette année : de l'humour…
Le Printemps des poètes sera officiellement lancé le 2 mars aux Folies-Bergère, le temple du music-hall, où résonnèrent jadis les voix de Mistinguett et de Maurice Chevalier. Une façon, pour les organisateurs de cet ensemble de manifestations qui se déroulent dans toute la France, de rappeler la dimension populaire de ce « Printemps » qui voudrait faire éclore des vocations poétiques. Sur le modèle de la Fête de la musique, les organisateurs privilégient la dimension festive et spectaculaire de l'événement. Quitte à faire fuir les poètes… En effet, un certain recueillement n'est-il pas propice à la poésie, cette «opération magique accomplie par le silence», selon les mots de Philippe Jaccottet.
Placé sous le signe du rire et de l'humour, le Printemps 2009 rendra hommage à Jean Tardieu (décédé en 1995), grand gourmand de mots et amateur de cocasseries les plus incongrues. L'affiche de cette 11e édition, en revanche, ne fait pas rire (voirci-dessus). Le jeu sur les mots ne vole pas haut et l'astuce graphique rend le message indéchiffrable. Espérons que l'an prochain les graphistes du Printemps des poètes seront mieux inspirés.
Rappelons tout de même que pour la seule association Le Printemps des poètes, qui « tourne » toute l'année avec plusieurs salariés, les ministères de la Culture et de l'Éducation versent 400 000 euros par an, les collectivités locales assurant le financement des manifestations qui ont lieu en province.
«Œcuméniste acharné»
Grâce à ces moyens considérables et à un certain consensus médiatique, au fil des ans, le Printemps des poètes a su rallier de nombreux suffrages : auteurs, bien sûr, public curieux, mais aussi libraires, bibliothécaires et associations. « Nous sommes sur une pente ascendante», affirme Jean-Pierre Siméon, directeur artistique de la manifestation. «Œcuméniste acharné», comme il se définit lui-même, il n'écarte aucune tendance ni courant poétique de sa programmation. Le Printemps est « une véritable vitrine destinée à refléter toute la vitalité et l'extraordinaire diversité de la poésie française d'aujourd'hui, qui, à bien des égards, est bien plus riche que le roman ». Pour cette onzième édition, patronnée par le comédien Denis Podalydès, il a invité Jacques Roubaud et Jean-Pierre Verheggen.
En ces temps de restriction budgétaire, le Printemps des poètes ne risque-t-il pas de faire les frais des coupes budgétaires publiques, au moment où Lire en fête est dans le collimateur ? Jean-Pierre Siméon ne veut pas y croire. Son argument : «Outre l'appui inconditionnel du CNL, le goût naturel et simple du public pour la poésie ne fait que croître.»
On peut être chagriné que la poésie descende sur le bitume et que « la rue » s'empare de la rime. Mais d'un autre côté on ne peut que se réjouir de voir des éditeurs publier à nouveau de la poésie ; c'est notamment le cas du Seuil et de la Table ronde. Initiative impensable il y a encore dix ans. Par ailleurs, les anthologies se multiplient (Patrick Poivre d'Arvor en publie une le 5 mars aux Éditions du Cherche Midi…) et, cette année, les publications pour la jeunesse ont concentré une part de leurs efforts sur la poésie (Gallimard, Bayard, Rue du monde…).
Renseignements : www.printempsdespoetes.com
Article du Figaro
17:00 | Lien permanent | Commentaires (0)
Le bateau ivre
Le bateau ivre
Comme je descendais des Fleuves impassibles,
Je ne me sentis plus guidé par les haleurs :
Des Peaux-Rouges criards les avaient pris pour cibles,
Les ayant cloués nus aux poteaux de couleurs.
J'étais insoucieux de tous les équipages,
Porteur de blés flamands ou de cotons anglais.
Quand avec mes haleurs ont fini ces tapages,
Les Fleuves m'ont laissé descendre où je voulais.
Dans les clapotements furieux des marées,
Moi, l'autre hiver, plus sourd que les cerveaux d'enfants,
Je courus ! Et les Péninsules démarrées
N'ont pas subi tohu-bohus plus triomphants.
La tempête a béni mes éveils maritimes.
Plus léger qu'un bouchon j'ai dansé sur les flots
Qu'on appelle rouleurs éternels de victimes,
Dix nuits, sans regretter l'oeil niais des falots !
Plus douce qu'aux enfants la chair des pommes sures,
L'eau verte pénétra ma coque de sapin
Et des taches de vins bleus et des vomissures
Me lava, dispersant gouvernail et grappin.
Et dès lors, je me suis baigné dans le Poème
De la Mer, infusé d'astres, et lactescent,
Dévorant les azurs verts ; où, flottaison blême
Et ravie, un noyé pensif parfois descend ;
Où, teignant tout à coup les bleuités, délires
Et rhythmes lents sous les rutilements du jour,
Plus fortes que l'alcool, plus vastes que nos lyres,
Fermentent les rousseurs amères de l'amour !
Je sais les cieux crevant en éclairs, et les trombes
Et les ressacs et les courants : je sais le soir,
L'Aube exaltée ainsi qu'un peuple de colombes,
Et j'ai vu quelquefois ce que l'homme a cru voir !
J'ai vu le soleil bas, taché d'horreurs mystiques,
Illuminant de longs figements violets,
Pareils à des acteurs de drames très antiques
Les flots roulant au loin leurs frissons de volets !
J'ai rêvé la nuit verte aux neiges éblouies,
Baiser montant aux yeux des mers avec lenteurs,
La circulation des sèves inouïes,
Et l'éveil jaune et bleu des phosphores chanteurs !
J'ai suivi, des mois pleins, pareille aux vacheries
Hystériques, la houle à l'assaut des récifs,
Sans songer que les pieds lumineux des Maries
Pussent forcer le mufle aux Océans poussifs !
J'ai heurté, savez-vous, d'incroyables Florides
Mêlant aux fleurs des yeux de panthères à peaux
D'hommes ! Des arcs-en-ciel tendus comme des brides
Sous l'horizon des mers, à de glauques troupeaux !
J'ai vu fermenter les marais énormes, nasses
Où pourrit dans les joncs tout un Léviathan !
Des écroulements d'eaux au milieu des bonaces,
Et les lointains vers les gouffres cataractant !
Glaciers, soleils d'argent, flots nacreux, cieux de braises !
Échouages hideux au fond des golfes bruns
Où les serpents géants dévorés des punaises
Choient, des arbres tordus, avec de noirs parfums !
J'aurais voulu montrer aux enfants ces dorades
Du flot bleu, ces poissons d'or, ces poissons chantants.
- Des écumes de fleurs ont bercé mes dérades
Et d'ineffables vents m'ont ailé par instants.
Parfois, martyr lassé des pôles et des zones,
La mer dont le sanglot faisait mon roulis doux
Montait vers moi ses fleurs d'ombre aux ventouses jaunes
Et je restais, ainsi qu'une femme à genoux...
Presque île, ballottant sur mes bords les querelles
Et les fientes d'oiseaux clabaudeurs aux yeux blonds.
Et je voguais, lorsqu'à travers mes liens frêles
Des noyés descendaient dormir, à reculons !
Or moi, bateau perdu sous les cheveux des anses,
Jeté par l'ouragan dans l'éther sans oiseau,
Moi dont les Monitors et les voiliers des Hanses
N'auraient pas repêché la carcasse ivre d'eau ;
Libre, fumant, monté de brumes violettes,
Moi qui trouais le ciel rougeoyant comme un mur
Qui porte, confiture exquise aux bons poètes,
Des lichens de soleil et des morves d'azur ;
Qui courais, taché de lunules électriques,
Planche folle, escorté des hippocampes noirs,
Quand les juillets faisaient crouler à coups de triques
Les cieux ultramarins aux ardents entonnoirs ;
Moi qui tremblais, sentant geindre à cinquante lieues
Le rut des Béhémots et les Maelstroms épais,
Fileur éternel des immobilités bleues,
Je regrette l'Europe aux anciens parapets !
J'ai vu des archipels sidéraux ! et des îles
Dont les cieux délirants sont ouverts au vogueur :
- Est-ce en ces nuits sans fonds que tu dors et t'exiles,
Million d'oiseaux d'or, ô future Vigueur ?
Mais, vrai, j'ai trop pleuré ! Les Aubes sont navrantes.
Toute lune est atroce et tout soleil amer :
L'âcre amour m'a gonflé de torpeurs enivrantes.
Ô que ma quille éclate ! Ô que j'aille à la mer !
Si je désire une eau d'Europe, c'est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesse, lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.
Je ne puis plus, baigné de vos langueurs, ô lames,
Enlever leur sillage aux porteurs de cotons,
Ni traverser l'orgueil des drapeaux et des flammes,
Ni nager sous les yeux horribles des pontons.
Arthur Rimbaud
08:00 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)