07/10/2022
Le temps qui passe
Le temps passait plus vite qu'avant. Je le sentais à tous les niveaux, soirées, semaines, mois, saisons, années. Je me souvenais des mercredis de l'enfance et des vacances d'été sans fin. Je commençais à entrevoir la durée effective d'une existence, à en pressentir les contours, à comprendre que tout irait plus vite que prévu.
Victor Jestin - L'homme qui danse (Flamarion 2022)
11:31 Publié dans Citations, Livres | Lien permanent | Commentaires (0)
23/09/2022
Faire silence de soi
« Je ne crois pas en Dieu, je le vis » Ce sont des textes choisis de Maurice Zundel, prêtre suisse, qui a notamment prêché une retraite pour le pape Paul VI. C’est une anthologie présentée par France-marie Chauvelot et préfacé par le père marc Donzé. Editions Le Passeur Editeur, 384 pages. 9,50€
Maurice Zindel invite les chercheurs de Dieu à un chemin de dépouillement. « Dieu ne se définit pas, Dieu s’expérimente quand nous décollons de nous-mêmes », il faut « cesser de nous regarder », « cesser de faire du bruit avec nous-mêmes », sans quoi nous manquerons le rendez-vous avec Dieu « souverainement personnel » et « fragile » « qu’on a caché au fond de nous-mêmes ». « Dieu fragile, c’est la donnée la plus émouvante, la plus bouleversante, la plus neuve, la plus essentielle de l’Evangile. Dieu fragile confié à notre conscience. Dieu fragile et désarmé tellement que c’est à nous de le protéger contre nous-mêmes ».
« Dieu est toujours déjà là, c’est-à-dire que Dieu est toujours donné, donné, donné », insiste Maurice Zundel. Et si Dieu nous semble absent, c’est parce que nous le sommes à nous-mêmes. Personne, quelle que soit son histoire personnelle, ne peut donc désespérer de faire l’expérience de Dieu. Mais il faut accepter de se décentrer, de « faire silence de soi » : « Nous pouvons toujours être pour Dieu un espace de lumière et d’amour qui lui permette de s’exprimer, de révéler et de se communiquer. Qu’elles qu’aient été mes fautes et mes infidélités, qu’importe ? je n’ai pas à apprécier ma vie, à mon point de vue. (…) Ne perdons pas notre temps à nous demander à quel degré nous avons trahi Dieu ou dans quelle mesure nous avons réalisé sa présence en nous. Tout commence aujourd’hui. » Pour Zundel, Dieu est déjà présent en nous et il est si impatient de nous rencontrer.
Dominique Greiner dans La Croix du 22 septembre 2022
00:00 Publié dans Livres, Réflexions spirituelles | Lien permanent | Commentaires (0)
14/09/2022
L'homme qui danse
J'avais beaucoup aimé son premier roman "La chaleur" paru en 2019. Je guettais la sortie du deuxième. Il est paru le 24 août: "L'homme qui danse". Un roman encore plus fort, plus intense, écriture serrée, univers confiné.
La Plage est le nom de la boîte de nuit d'une petite ville en bord de Loire.
C'est là qu'Arthur, dès l'adolescence et pendant plus de vingt ans, se rend avec frénésie. Dans ce lieu hors du temps, loin des relations sociales ordinaires, il parvient curieusement à se sentir proche des autres, quand surtout ailleurs sa vie n'est que malaise et balbutiements. Sur la piste de danse, il grandit au gré des rencontres - amours fugaces, amitiés violentes, modèles masculins écrasants. Au fil des ans, il se cherche une place dans la foule, une façon d'exister.
Jusqu'où le mènera cette plongée dans la nuit ?
De son écriture précise, Victor Jestin nous conduit au plus près de l'intimité d'un homme qui lutte avec sa solitude, dans l'espoir obsédant d'aimer.
Un auteur est né. On attend la suite.
Victor Jestin: L'homme qui danse - Flammarion 2022
00:00 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)
25/08/2022
Une éclipse
Dans les douze textes de ce livre paru il y a un peu plus d'an an, il y a densité et émotion. Homme des échappées belles, Raphaël Haroche (par ailleurs chanteur) ouvre son recueil par une nouvelle qui donne son titre à l’ensemble et emmène lectrices et lecteurs dans une île bretonne qui rappelle celle de Bréhat, où il possède une maison et un bateau. Un couple, Claire et son mari, et leurs deux enfants. Lui est scénariste en panne d’inspiration, elle actrice de réputation internationale. Il est jaloux, sait qu’elle l’a trompé deux fois puisqu’elle le lui a dit, sait aussi que ces temps-ci elle a une autre relation, se demande si elle va le quitter et s’il doit oser fouiller dans le téléphone portable de sa femme ?
Dans une autre nouvelle, « Les Patriciens », un couple de vieux homosexuels vit dans une maison comme « dans un tombeau égyptien ». Ils recueillent une jeune fille blessée, Soraya ; tels des loups, ses frères attaquent la maison et le couple pour récupérer leur sœur…
Un texte sur le tennis, « un monde est un monde parfait où tous les accidents possibles du cosmos ont été prévus », un autre sur un vieil architecte allemand qui a travaillé avec les nazis, qui s’est réfugié en Amérique du sud mais qui, finalement, sera châtié. Et puis un des temps forts d’« Une éclipse » : « Le monde à venir », le plus long (près de 30 pages) texte du livre. Une femme âgée écrit une lettre, « je suis aux portes de la longue nuit, je ne peux pas te toucher, ni te regarder, d’ailleurs les choses ne seraient certainement pas plus simples si je t’avais devant moi, que je sentais ta présence »…
Avec Raphaël Haroche, la variété est au rendez-vous, mêlant joyeusement angoisse, fantastique, obscurité et lumière. L’auteur n’est pas près de s’éclipser !
Déjà j'avais lu "Revenir à la mer", avec "L'éclipse" je découvre un auteur qui se confirme. J'attends le roman qu'il préparerait.
00:00 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)
24/07/2022
Tu seras mon père
« Tu seras mon père » ou comment les Brigades rouges, mouvement terroriste d’extrême-gauche qui aura marqué de manière sanglante les années 70-80, vont dévaster l’enfance d’un Italien « beau comme un dieu ». L’écrivain franco-turc Metin Arditi livre un roman aussi bouleversant que précis sur ces « années de plomb » italiennes…
Renato, sept ans, malgré un léger handicap de surdité, vit une enfance enchantée dans une famille bourgeoise de Vérone. Il adore son père, Francisco Barro, directeur d’une fabrique de glaces, les meilleures d’Italie. Renato en raffole surtout quand son père lui demande d’en trouver tous les ingrédients : « C’était leur rituel… Dans de tels moments, le bonheur de Renato était à son comble, comme si toutes les raisons qui le rendaient heureux s’étaient données rendez-vous : le plaisir de dévorer une glace bien tendre, la complicité avec son père, le sentiment de sécurité qu’il ressentait lorsqu’il se trouvait à l’atelier, là où son père était très respecté des ouvriers. » Là, tout s’effondre quand Francisco est enlevé par un commando des Brigades rouges. Les tractations s’éternisent (on apprendra bien plus tard pourquoi) et quand l’homme d’affaires est libéré, après le versement d’une rançon et deux mois de captivité éprouvante, il n’est plus que l’ombre de lui-même. Il se suicide. Son épouse Gabriella fuit en Suisse avec toute sa maisonnée. Renato est anéanti, seulement réconforté par Rosa, la gouvernante qui le considère comme son fils. Quand, onze ans plus tard, Gabriella, sa mère, juge que son purgatoire a assez duré, elle retourne à Vérone pour se marier et …« retrouver le monde civilisé ». Elle inscrit Renato à l’Institut Alderson de Lausanne, un internat pour familles huppées, histoire de mettre du champ entre elle et son fils…
« Ecris-moi souvent, même des lettres courtes. Chaque jour au déjeuner, on distribue le courrier. C’est important de ne pas se sentir « mis au dépôt », si tu vois ce que je veux dire », lui écrit-il. Beaucoup de ses camarades de classe sont, comme lui, des enfants délaissés par de riches parents. Parmi les professeurs, un certain Paolo Mantegazza, un Italien, responsable des activités théâtrales et, comme Renato Barro, passionné de haute montagne. Une admiration réciproque ne tardera pas à s’installer entre eux deux. Renato est un élève brillant et Paolo Mantegazza un enseignant pédagogue et raffiné. Il fait découvrir à son élève Elias Canetti, « un philosophe. Lui aussi avait perdu son père très jeune. A l’âge de sept ans je crois». Leur même passion pour le théâtre les réunira quasi intimement.
Chaque année, le lycée monte un spectacle théâtral avec tous les élèves. Non sans arrière-pensée, Paolo Mantegazza choisit Pirandello « Chacun sa vérité », une pièce qui joue sur le doute : Que sait-on des choses et des gens ? Ce qu’on en voit ou ce que l’on croit en voir et, bien souvent, ce que l’on aimerait qui soit. « Une pièce de l’absurde », remarque Renato. Mais le hasard réserve parfois bien des surprises et on découvre assez rapidement que Paolo Mantegazza est la nouvelle identité de la tête pensante des Brigades rouges, Paolo Rivolta, celui-là même qui avait organisé le kidnapping du père de Renato. « Hier après-midi, j’avais devant moi Gabriella Barro et son fils Renato. Tu imagines le choc », écrira l’ex-brigadiste à son ami Giancarlo.
Metin Arditi, dans un style haletant, va alors s’attarder sur la réaction de l’enseignant ex-terroriste, qui avait, assez rapidement, compris qui était son élève et celle de Renato qui finira par découvrir, avec une longueur de retard, la véritable identité derrière laquelle se cache son professeur Paolo Mantegazza. Sera alors éventé le parcours chaotique de ce professeur au passé on ne peut plus trouble et de son engagement idéaliste et meurtrier à sa prise de conscience et à sa repentance. « L’immense bonheur s’était effondré », reconnaîtra amer, de son côté, le jeune Renato pour qui le chemin sera long et bien plus difficile. Il devra quitter la Suisse et l’Italie, pour se reconstruire et apprendre à réguler ses sentiments. Il lui faudra pour cela la complicité… d’une glace parfum vanille !
En marge de ce face-à-face dramatique, interviennent d’autres personnages qui ont tous des fêlures, la belle prof de danse Josy, métis américaine, la directrice de l’Institut Bérangère-Hugues, qui porte, telle une croix, le comportement de batifoleur de son ex-mari et Nadelmann, un prof d’allemand et de philosophie, grand admirateur d’Hölderlin, qui ne supporte pas, néanmoins, son prénom, Adolf.
Metin Arditi dissèque avec délicatesse la question de la paternité, de la fraternité mais aussi celle de l’engagement pour une cause qu’on croit juste mais dont le jusqu’au-boutisme s’avérera vénéneux. Le titre du roman « Tu seras mon père » fait écho au poème de Kipling « Si tu peux voir détruit l’ouvrage de ta vie / Et sans dire un seul mot te mettre à rebâtir / … / Tu seras un Homme, mon fils. »
- « Tu seras mon père », de Metin Arditi, éd. Grasset, mai 2022
Dominique Lorraine
Un beau livre qui laisse place au difficile pardon.
23:00 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)
15/06/2022
Un été avec Rimbaud
Tous les étés depuis dix ans, France Inter et les éditions de l'Equateur nous invitent à passer un été avec un auteur. Cette année ce sera Colette.
Mais l'an passé, Sylvain Tesson s'est attaqué au mythe Rimbaud en le sortant de la kermesse biographique et en le dépoussiérant de ses vieux habits de jeune monstre de la poésie : Rimbaud anarchiste, communard, voyou, punk, beatnik, sauvage, avant-gardiste, moderne, trouvère, futuriste... Certes mais surtout Rimbaud, poète.
A ses côtés, Sylvain Tesson marche et traverse les paysages réels ou imaginaires suivant le cap tracé par René Char : « Rimbaud poète, cela suffit et cela est infini » A la vitesse de l'éclair mais aussi avec humour et lucidité, des Ardennes au désert africain Sylvain Tesson en voyageur aventureux perce à jour le voyant monstrueux qui révolutionna la poésie et qui n'avait qu'un ennemi : l'ennui.
Un été particulièrement incandescent où la route est une illumination.
Un été avec Rimbaud est le 9e titre de la collection.
Après avoir écouté quelques extraits l'été dernier, je viens de lire cet ouvrage décapant et fascinant. Rimbaud est vivant.
20:02 Publié dans Livres | Lien permanent | Commentaires (0)