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10/06/2020

Le visage

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Le visage est ce trésor unique que chacun offre au monde. C'est bien en terme d'offrande, ou d'ouverture, qu'il convient de parler du visage. Car le mystère et la beauté d'un visage, en fin de compte, ne peuvent être appréhendés et révélés que par d'autres regards, ou par une lumière autre. À ce propos, admirons ce beau mot de visage en français. Il suggère un paysage qui se livre et se déploie, et, en lien avec ce déploiement, l'idée d'un vis-à-vis.

François Cheng: Cinq méditations sur la beauté  (2006)

 

05/06/2020

La poésie, notre refuge

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Gilbert Lely disait de l’œuvre de Lautréamont qu’« elle est la seule qui pourrait être feuilletée sans ridicule une heure avant la fin du monde… »

Une heure avant la fin du monde : c’est le sentiment que beaucoup d’entre nous ont éprouvé pendant le temps de confinement. Et avec cette impression, un immense besoin de poésie. J’entends par là, la soif d’une vérité de parole dont nous pensions, hier encore, que nous pouvions la liquider sans état d’âme. Nous avions la certitude qu’en troquant la profondeur pour la frivolité, la joie pour le plaisir, l’être pour l’avoir, nous serions débarrassés à jamais des questions qui fâchent et des inquiétudes de l’âme. Mais, réduits au silence et à l’immobilité, privés de tout ce qui nous tenait lieu de distraction et de tranquillisant, et dès lors contraints à nous chercher – qui étions-nous, que voulions-nous –, nous avons su que rien de ce qui nous était imposé comme les clés du bonheur n’aurait jamais le pouvoir de nous consoler.

Mais la poésie, oui, elle a ce pouvoir. Yves Bonnefoy l’avait évoqué lors d’une de mes visites rue Lepic, il y a quelques années. Lui qui se défendait de croire en Dieu et parlait volontiers des peintures gothiques, de Byzance et de Fra Angelico, m’avait répété ce qu’il avait écrit dans un chatoiement de formes différentes, mais toujours avec la même lumière : « Je voudrais réunir, je voudrais identifier presque la poésie et l’espoir. » J’avais été éblouie par la formule et ce qu’elle ressaisissait d’évidence : la poésie nous offre un refuge lorsque nous voulons entendre ou dire, au plus juste, ce que nous voyons dans notre traversée du temps et de ses tragédies. De là que la Poésie est le contraire de la parole marketing, le contraire des fausses informations, le contraire de la propagande politicienne. Les politiques le savent qui ont mis à mal nombre de poètes, ainsi, pour le seul XXe siècle, Ossip Mandelstam en URSS, Robert Desnos en France, et tant d’autres, de Paul Celan à Anna Akhmatova. Comme le temps, elle est complice de la vérité, de là la tentation de la nier, d’interdire ses perspectives.

De là encore qu’elle s’oppose à « l’horreur économique », comme l’a exprimé Rimbaud, et nous ramène à la vérité de la parole. Elle rend aux mots l’âme de ce qu’ils nomment une âme toujours intacte, souligne encore Yves Bonnefoy (1). C’est la raison pour laquelle, nous en ressentons le besoin, en ces temps plus que jamais. En cela, la Poésie partage avec la religion et le sacré, sans se confondre avec eux, le pouvoir de nous replacer à la fois dans ce qu’il y a de plus concret et de plus ineffable : elle nous unit, par le verbe, aux émotions du monde.

Aujourd’hui, où je parle d’elle, je voudrais rendre deux hommages. Le premier, à mon cher ami Salah Stétié, qui m’avait dit qu’à ses yeux toute femme était Marie. Il a disparu le 19 mai dernier et repose désormais au côté de Blaise Cendrars, qu’il admirait. Salah Stétié a fêté le poète comme un voyageur « témoin de l’essentiel » (2). Libanais, il a reverdi, en français, le dialogue immémorial entre poésie et mystique, Orient et Occident, éclairant tour à tour chacun des deux à la lumière de l’autre.

L’Orient à celle du Romantisme allemand, l’Occident aux lueurs de Byzance. Musulman, sunnite, il était proche des chrétiens et souffrait dans sa chair qu’on tue au nom de sa religion ; il donnait à son refus une raison précise, une raison de poésie : l’amour de la vie.

Mon deuxième hommage est pour Jean Lavoué, poète et essayiste, et le très beau livre (3) qu’il a consacré au poète breton René Guy Cadou, (1920-1951) qui avait consolé sa femme et ses amis de sa mort à 31 ans par ces mots : « Le temps qui m’est donné, que l’amour le prolonge. » Voilà, ressuscitée sous la plume de Jean Lavoué, l’œuvre prolongée de ce jeune homme, qui a accompli le vœu de Bonnefoy : « Réunir, identifier presque la poésie et l’espoir. » Ce qui émeut dans ce livre, c’est aussi ce passage de témoin d’un poète à l’autre, de celui qui, doté « d’une puissance d’éveil sans pareil » devient pour le second, Jean Lavoué, « un témoin privilégié de ce qu’être habité par le mystère de l’Autre signifie et signifiera de plus en plus en ces temps de croyances vacillantes ».

« Mon Dieu, éveille-Toi, je suis Ton serviteur », priait René Guy Cadou. Il convient de déchiffrer ce poème à la façon que préconisait Armel Guerne :

« On ne lit pas un poète pour se prendre aux paroles, se captiver aux mots, mais pour aller où ils disent : l’œuvre n’est pas en eux, mais dans l’itinéraire vivant dont ils sont la légende. »

Christiane Rancé  La Croix du 4 Juin 2020

(1) L’Improbable, Folio, Gallimard. (2) En un lieu de brûlure, Bouquins, Robert Laffont. (3) René Guy Cadou, La fraternité au cœur, blog « L’enfance des arbres ».

02/06/2020

Raison de vivre

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Il n'y a pas d'autre raison de vivre que de regarder, de tous ses yeux et de toute son enfance, cette vie qui passe et nous ignore.

Christian Bobin, "La nuit du cœur" , p14  Gallimard

22/05/2020

Réflexions poétiques

Quelques citations du poète et diplomate libanais, Salah Stétié, décédé le 20 mai à 90 ans:

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Chacun de sa larme secrète arrose une fleur connue de lui seul.

Homme: un improbable qui rêve d'un impossible.

Avant et après l'oubli, il y a un long crépuscule qui est la vie.

10/05/2020

Le chemin, la vérité et la vie

5ème dimanche de Pâques A

« Je suis le chemin, la vérité et la vie. »

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Jésus prépare ses disciples à son départ. Ses disciples sont désemparés. Que vont-ils devenir si le Maître s’en va, s’ils n’ont plus de Bon Berger ? Jésus les rassure.

En ces temps où nous sommes nous aussi désemparés, où nous sommes inquiets pour notre avenir, Jésus veut nous rassurer.

 

Nous sommes bien comme Thomas, nous nous posons toutes sortes de questions, des questions légitimes, certes, mais qui disent aussi le manque de confiance en nous-mêmes et en Jésus. Le « nous ne savons même pas où tu vas » de Thomas est devenu pour beaucoup « pourquoi n’es-tu pas là ? ».

 

Demain, la vie va reprendre son cours, mais pas tout à fait. On nous le dit, le ressasse sans arrêt dans les médias : la période de déconfinement qui commence ne sera pas un retour à la vie que nous avons connue auparavant. Toutes nos inquiétudes ne vont pas disparaître d’un seul coup, toutes nos manières de faire vont être bouleversées, il va falloir réapprendre à vivre, abandonner des habitudes, trouver une autre manière d’habiter ce monde, de vivre avec les nôtres, de prendre soin des uns et des autres, de retrouver une vie fraternelle plus authentique peut-être, d’inventer de nouveaux chemins de réalisation de soi et d’un monde plus beau. Et j’ajouterai : repenser Dieu dans ce nouveau paysage.

 

Tout le monde est d’accord pour une nouvelle manière de voir le monde (avec enthousiasme ou scepticisme selon les personnes), tout le monde n’est pas prêt pour vivre une vraie conversion. Pourtant, nous avons tous les moyens en main pour faire advenir cette nouvelle manière d’être au monde, à la différence des premiers disciples avant que l’Esprit de Pentecôte ne leur soit donné.

 

Nous, nous avons sans doute le défaut de vouloir confiner Dieu, l’enfermer dans nos églises, le mettre au placard quand ça nous arrange. Il y a beaucoup de communions privées qui sont, c’est le cas de le dire, privées de Dieu, il en reste une fête qu’on finit par oublier avec le temps alors que Dieu ne nous oublie pas, ne désespère jamais de nous voir avec lui. Où est signifiée la présence de Dieu dans notre monde aujourd’hui ? Très peu dans les débats publics. On l’enferme dans des médias privés, seule exception ce mois-ci le très beau reportage sur Thérèse de Lisieux sur une chaine nationale.

Dieu confiné aussi dans notre cœur, comme un trésor qu’on ne veut pas partager. De peur qu’on nous le vole ou pour se protéger de quoi ? Pour preuves, notre peur de témoigner, notre manque d’audace et de confiance pour être catéchistes, par exemple,  ou pour donner sa vie entière au service du Seigneur et des frères. (Y’ aura-t-il de la catéchèse dans nos deux paroisses l’année prochaine ? c’est très compromis à cause du manque de catéchistes ! je suis à la fois confiant et très inquiet !)

 

Dieu n’est pas du genre à se laisser enfermer. Ainsi Jésus doit quitter les siens, mais c’est pour nous rassembler, pour nous faire entrer dans l’intimité de son Père comme lui l’a toujours été.

 

Dimanche dernier, Jésus disait : « je suis la porte ». Aujourd’hui il nous dit : « Je suis le chemin, la vérité et la vie », une phrase que j’aime bien condenser dans l’expression : Je suis le vrai chemin de vie ».

La vie, et nous en faisons l’expérience aujourd’hui, est comme une longue et difficile randonnée. Parfois, nous ne savons pas où aller, nous risquons de nous perdre, et, de fait, nous nous perdons parce que nous n’avons pas les bonnes cartes, les bonnes boussoles, les bons GPS, ou tout simplement parce que nous nous laissons guider par nos seuls sentiments, instincts et jugements.

Sur cette route, Jésus a placé des panneaux : ce sont les Béatitudes et autres discours importants ; il nous a laissés des aires de repos le dimanche pour ne pas avoir toujours le nez sur le guidon, pour ne pas oublier que rouler sans essence ne nous mènera pas très loin, et pour nous redire : qui sommes-nous et ù allons-nous ?

Jésus est ce chemin. Etre avec lui c’est emprunter ce chemin, et nous sommes assurés que c’est un vrai chemin de vie. Mettrions-nous en doute sa Parole ?

 

Une nouvelle période va commencer demain dans ce temps d’épidémie. Nous allons sans doute nous sentir tout petits devant la vie qui va reprendre, devant le travail, l’école, les commerces qui vont rouvrir. Il va falloir réapprendre les relations sociales. Mais tout en étant masqués, ne nous voilons pas la face pour autant ! Montrons nos beaux sourires ! Soyons sans crainte, comme Jésus nous y invite. Cherchons en lui la meilleure façon d’habiter ce monde, d’être présent à nos frères et de vivre en communion personnelle avec lui. « Je suis le chemin, la vérité et la vie », a-t-il à ses amis d’autrefois ; il le redit aujourd’hui à tous ceux dont il veut faire ses amis, car « Dieu veille sur ceux qui le l’adorent, qui mettent leur espoir en son amour, pour les délivrer de la mort, les garder en vie aux jours de famine. » (Ps32)

 

07/05/2020

Déconfiner Dieu

Activisme des réseaux sociaux

Pas de rassemblements, pas de sacrements, pas d’Eucharistie : de fait, la période que vivent les catholiques est étonnante. Elle a provoqué cependant une intense créativité sur les réseaux sociaux, avec des messes sur Facebook, Twitter, YouTube. Certains prêtres se sont donné beaucoup de mal pour répondre au manque ainsi créé, avec le risque de renvoyer une image bien cléricale et, partant, masculine du catholicisme. Comme une ruse de l’histoire, au moment même où le pape François avait entrepris une réflexion sur l’excès de cléricalisme… Cet activisme sur les réseaux sociaux peut aussi parfois verser, comme l’analyse le dominicain Dominique Collin, dans une vision fonctionnaliste de la foi (1), où l’image importe plus que le message, ce dont le pape François lui-même s’est ému. On sait que le catholicisme a toujours entretenu un lien étroit avec les techniques visuelles, les églises de la contre-réforme, à Rome, le manifestent assez. Mais ces spectaculaires bénédictions de villes contre le virus, tous ornements sacerdotaux dehors, avaient parfois un côté bien fellinien…

Il ne s’agit pas de critiquer, et l’auteure de ces lignes a elle-même été heureuse de pouvoir profiter des messes retransmises à la télévision. Mais n’est-ce pas l’occasion de nous interroger sur le sens de ce que nous vivons ? De profiter de ce moment exceptionnel, le kairos, comme l’écrit dans un magnifique texte (2) le père Tomás Halik, théologien tchèque, pour voir ce à quoi notre foi a été renvoyée durant ce confinement, avec l’impossibilité d’assemblée dominicale ? Nous avons envie de retourner dans nos églises, mais l’absence de célébration liturgique épuise-t-elle toute la foi ? La période que nous venons de vivre prouve bien l’inverse : nous nous sommes sentis en communion, sans communier. Elle peut aussi nous inciter à revoir notre compréhension de l’Eucharistie, qui, comme l’écrit Anne Lécu, est aussi le service d’autrui (3).

De nouvelles pistes

Au fond, que célèbre-t-on le dimanche ? Un rassemblement de voisins qui s’apprécient dans un lieu donné avec un prêtre donné ? Ou bien une communion aux dimensions universelles ? La communion des saints n’est pas un vain mot dans l’Église. Nous avons poussé à bout la logique de Pie X qui a instauré la communion hebdomadaire, voire quotidienne, en faisant de nous des « consommateurs d’hosties », dans une vision parfois réductrice du sacrement. Or, le nombre de prêtres diminue. Si l’on n’est capable d’ouvrir les églises que pour la messe, on va devoir en fermer beaucoup dans les années qui viennent. Cette crise peut justement nous offrir de nouvelles pistes, sans pour autant, évidemment, renoncer à l’eucharistie. Le confinement a donné lieu à de très belles liturgies domestiques, le christianisme renouant alors avec ses racines juives. Il a permis la formation de groupes de lectures, de méditations, d’études sur la Bible, d’écoute de la Parole, bien au-delà des cercles de pratiquants habituels. Et aussi autorisé une Semaine sainte dans la prière et le silence. Enfin, il s’est traduit par de nombreux gestes de solidarité de la part des paroisses et de leurs prêtres. À se demander si, plutôt que de se battre pour déconfiner les messes, il ne vaudrait pas mieux se battre pour déconfiner Dieu lui-même, et le sortir d’églises parfois trop fermées.

 

(1) « Deus ex machina », de Dominique Collin
sur revue-etudes.com

(2) « Les églises fermées, un signe de Dieu ? »  sur La Vie.fr

(3) Ceci est mon corps, d’Anne Lécu, éd. du Cerf.

Isabelle Gaulmyn, journaliste à La Croix

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