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07/06/2019

Le don des langues

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C’est une histoire étrange. Une histoire de pentecôte, mes amis. Dans un minuscule village des Pyrénées, un vieil homme n’avait jamais parlé que sa langue, celle du pays. Un occitan gascon que l’on parle dans le Luchonnais. J’avais peut-être treize ans la première fois que je l’ai vu et quand il m’invita sans un mot à venir passer des heures dans les montagnes avec lui.

Des mois et quelques années avec lui sans pouvoir se parler. Il me montrait des fleurs, des traces d’animaux, des arbres, des nuages dans le ciel, et nous marchions en silence avec le sentiment pourtant de partager quelque chose. Il me semble qu’on se comprenait. Sans le savoir, nous avions tous les deux un langage capable de signifier sans déclarer, sans dire. Une langue avant les langues.

Éprouver le désir de comprendre autrui

Les années ont passé (si vite), et avec elles est venu peu à peu le désir de comprendre la langue de l’autre. Et c’est lui, au détour d’un chemin escarpé, un été à la tombée du jour, quand nous redescendions d’un col d’estive où paissaient ses brebis, qui a prononcé pour moi ses premiers mots en français. Il voulait savoir si je reviendrais l’année prochaine. Oh mes amis, je ne suis jamais revenu, la vie m’a emporté. Mais lui m’a laissé ainsi un enseignement formidable : parler la langue de l’autre, même si peu, si maladroitement, c’était appeler à une communauté humaine manquante et désirée.

Parler les langues de chacun, nous n’en sommes pas forcément capables en entrant dans la vie. Il nous faut passer souvent par des incompréhensions, des silences parfois coupables ou terrifiants, des regrets, un désir de rencontre et d’échange inassouvi. C’est aussi cela grandir : éprouver le désir de comprendre autrui et de se faire comprendre de lui. Je veux dire, mes amis, qu’il s’agit de l’hospitalité que nous accordons à d’autres vies et d’autres paroles que nous.

Apprendre la langue d’autrui, ou traduire, c’est le mouvement même de la vie spirituelle : répondre au désir de se faire comprendre d’autrui et de le comprendre. Et dans ce désir de parler la langue de l’autre, il y a au fond une pentecôte : la compréhension de la Parole traverse nécessairement les autres. Pour accéder à mon propre désir de dire, d’échanger, de parler, je dois faire ce chemin à travers d’autres langues.

Pour être compris et se comprendre, pour comprendre les autres, je dois laisser cette force spirituelle (pneuma en grec, souffle, vent, esprit) me traverser, ce vent qui ouvre les bouches, qui descelle les lèvres, comme les cœurs. Toute pentecôte est ce qui nous conduit à reconnaître dans la dispersion, l’altérité, l’épreuve même de l’incompréhension, la grâce d’avoir à dire et entendre, et de se faire entendre. C’est aussi quitter sa mère, en quelque sorte. Pouvoir exprimer en dehors de sa langue maternelle ce qui vient d’une autre mère, d’un autre engendrement charnel, spirituel.

La Pentecôte dissout le fantasme d’une seule langue

Que les langues intimes, maternelles, puissent s’ouvrir à l’autre de l’autre mère, cela, mes amis, s’appelle culture. « Des langues comme des langues de feu leur sont apparues séparées les unes des autres et se sont posées sur chacun d’entre eux. Et tous ont été remplis du Souffle saint et se sont mis à parler dans des langues autres (heteros, différentes) ce que le Souffle leur donnait de dire » (Actes 2, 3-4). Eux-mêmes accueillant ce vent, ce souffle d’ouverture en eux, ont parlé des langues différentes, autres, pour parvenir à exprimer ce que ce souffle d’ouverture leur permettait de découvrir.

Est-ce ainsi que m’est venu le désir de traduire ? Cette curiosité pour les autres langues ? Il n’y a pas pour moi de langue sacrée. Ce qui est sacré, c’est-à-dire distinct, lointain et désirable, c’est la marque de l’Autre. Cette cicatrice qui témoigne d’une unité rêvée dans la différence, et que chaque langue réalise quand elle s’ouvre à d’autres langues. Le récit des Actes retourne littéralement celui de Babel.

La tentation de Babel de ne parler tous qu’une seule langue est en réalité celle de ne parler tous que d’une seule bouche, d’une seule voix, d’un seul bord (saphah, en hébreu dans le récit biblique, qui signifie lèvre, parole, rivage, rive, bord, côté, fil, frontière, reliure…). La Pentecôte dissout le fantasme d’une seule langue, d’un seul rivage d’où parler ensemble, fantasme totalitaire d’obéissance collective, de transparence absolue les uns aux autres, d’un même lieu d’oppression gigantesque, défiant le cosmos, et qui ne peut conduire qu’à l’effondrement.

Qu’il y ait d’autres langues nous appelle à l’importance de l’acte de la traduction dans la vie d’un sujet ou d’une communauté, au cœur d’une existence qui s’avoue et qui se cherche, et tente de s’exprimer comme vie à vivre en s’expatriant un temps dans la langue et l’œuvre d’autres vies, d’autres cultures. Je ne suis pas retourné dans les montagnes. Mais je sais qu’une part de moi-même y demeure. Et toute ma vie se souvient encore de ce don que me fit l’autre de ma propre langue.

Frédéric BOYER dans La Croix du jeudi 6 juin 2019

24/05/2019

Sur le chemin d'Emmaüs

Prière à méditer après avoir parcouru Luc 24, 13-35


O Christ Jésus, la route est devant nous, tortueuse, incertaine... Il nous faut cependant céder à son appel, quels que soient nos états d’âme. Qu’avons-nous laissé derrière nous? Nos ferveurs, nos rêves, nos impuissances? Il est difficile de tourner la page quand un événement vous a secoué.
Nous voudrions tant faire durer l’excitation et la mobilisation d’un moment heureux. Mais il nous faut apprendre le deuil et revenir chez soi, oui, revenir chez soi…
Heureux encore, si nous ne sommes pas seuls dans notre marche, et si nous pouvons échanger avec un compagnon de route. La solitude peut être une épreuve trop lourde à porter au temps de l’individu-roi.
La parole échangée nous allège et rend la route plus familière.

Nous nous comptons par deux, alors qu’il faut nous dénombrer trois… Car Tu n’es jamais absent de nos rencontres; Tu habites chacun de nos dialogues pour les ouvrir à la réalité. Tu es la Parole à l’origine de toute parole.

Oh! viens, Seigneur Jésus, t’introduire dans nos face-à-face, viens nous obliger à discerner l’événement, à creuser le sens de ce qui arrive. À donner de l’élan à nos vies. Nous croyons avoir tout compris. Il nous manque la clef de ta venue et de ton accompagnement pour remettre de l’ordre dans nos mémoires, interpréter l’histoire passée et présente, et laisser la Parole brûler nos vies.

Ta Parole, il faut bien l’avouer, n’est pas surgissement de pure nouveauté. Elle a été burinée grâce à des siècles de foi et d’attente par le plus petit des peuples. Elle s’inscrit dans une succession de gestes prophétiques toujours soucieux de la grandeur de Dieu et de la dignité de l’Homme.

Mais voilà, Tu es plus qu’un prophète parmi d’autres; plus qu’un Messie cristallisant l’espérance d’une nation. Tu viens de Dieu et tu retournes à Dieu en traversant l’épaisseur de notre condition, jusqu’à être conduit à une mort ignominieuse qui n’a pu Te retenir entre ses mains.

Au creux de notre nuit, la nouvelle de ta résurrection n’en finit pas de nous éblouir: Tu es vivant et toute vie trouve en toi sa source et son accomplissement, son sens et sa fécondité.

Alors que Tu as tant à faire sur nos routes de pèlerins, accepte de partager notre gîte et notre couvert. Nous avons faim de parole et de pain, et plus encore du ciel sur la terre. Refais pour nous les gestes du don et de la communion.

Apprends-nous à devenir nourrissants pour les autres, comme toi-même. Fais-nous comprendre qu’en rejoignant la communauté des disciples, nous n’avons plus à nous inquiéter de ton absence. Et qu’en rejoignant la communauté humaine, nous sommes nous-mêmes responsables de Ta présence.

La route est tortueuse, incertaine… Pourtant, elle est jalonnée de signes ténus mais efficaces qui nous remettent à ta suite, réveillés de nos engourdissements et détachés de nous-mêmes.

Donne-nous le souffle pour courir porter la nouvelle à nos frères et soeurs, jusqu’à cette Jérusalem céleste qui vient à notre rencontre, pour rassembler les pèlerins de tous les peuples et de toutes les religions. Amen.

Disciples d'Emmaüs, Bruno Chenu, Bayard

09/05/2019

Le secours vient d'en-haut

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Ils n'ont pas économisé.

Ni l'argent ni la peine

ni les forces ni le temps.

Pourquoi l'auraient-ils fait?

Ils en étaient sûrs:

c'est pour l'avenir

qu'ils construisaient!

 

Leur sueur a coulé,

leur sang aussi, parfois.

que leur importait!

 

Quand il s'agit de construire,

y a-t-il un seul obstacle

qui puisse briser l'élan?

 

Ils bâtissaient

pour eux d'abord.

 

parce qu'il leur était impossible

de vivre

le regard cloué au sol

à scuter uniquement les ornières.

Il leur fallait lever les yeux

plus haut,

vers les étoiles qui peçaient

la chape de nuit,

afin de guetter le secours

- n'est-il pas écrit que le secours

vient toujours d'en-haut?

 

Charles Singer

dans "Cathédrale"

éditions COPRUR

06/05/2019

Ils doivent dire

invisible.jpgDans le monde du soi, pourquoi se met-on, justement, à vivre pour autre chose que soi ? Je veux comprendre parce que moi aussi j’ai cherché. Si Dieu existe, pourquoi ne se révèle-t-Il pas aussi à ceux qui Le guettent? Quelle iniquité… J’ai cherché, mais je ne l’ai pas trouvé. Alors, ils doivent dire, ceux qui savent et devinent cette présence à leurs côtés. Où L’ont-ils rencontré ? Ils ne connaissent pas leur chance.

Pierre Adrian, Des âmes simples.

27/04/2019

Bonheur de la vie

john-lennon-7.jpgQuand j'étais petit, ma mère m'a dit que le bonheur était la clé de la vie. A l'école, quand on m'a demandé ce que je voulais être plus tard, j'ai répondu "heureux". Ils m'ont dit que je n'avais pas compris la question, je leur ai répondu qu'ils n'avaient pas compris la vie.

John Lennon (1940-1980)

21/04/2019

Alléluia Il est Vivant!

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Nous sommes témoins de tout ce qu’il a fait dans le pays des Juifs et à Jérusalem. (Ac 10,39)

Dans un résumé très condensé, l’Apôtre Pierre raconte la vie de Jésus. Dieu était avec lui, dit –il à Césarée chez un centurion de l’armée romaine. Ce discours, quelques semaines après la résurrection de son maître montre bien le chemin de foi qu’il a parcouru. Au tombeau vide, il a constaté, mais il n’a pas eu l’expression de foi aussi spontanée que celle de Jean qui a toute de suite compris.

Si Dieu a ressuscité Jésus d’entre les morts, il a aussi ressuscité la foi de Pierre, il lui fait faire une relecture de ses trois années passées avec lui, l’Emmanuel, le Dieu avec lui et avec nous. La résurrection éclaire, illumine, donne à comprendre tous les événements, les paroles, les gestes et même la mort de son ami.

Pierre devient le témoin éclairé. A sa suite, il y en aura beaucoup d’autres à porter le flambeau, à passer le relais. Chaque jour que nous vivons doit être un jour de fête et de joie, un jour de témoignage, car la mort est vaincue. Dieu est toujours avec nous par la présence de son Fils ressuscité à nos côtés. Que nos attitudes, paroles et vie tout entière soient porteuses de cette joie.   TP