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25/05/2022

Chantier du poème

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L’arrivée du poème est multiple.
La plupart du temps, il progresse comme une vague qui déroule sa turbulence d’images et de mots.
Il s’organise parfois autour d’un mot clef.
Mot-noyau, tombant dru, bousculant le vocabulaire pour se chercher plus loin.
Mais plus encore : soulèvement du dedans; mouvement en quête de ses rythmes, de sa forme-paroles.

Greffes, le mot s’impose.
Cet œil, ce bourgeon inséré dans le vif d’une plante, me parle infiniment.

Greffe qui donne lieu à une vie autre; à un renouveau à partir d’une blessure, d’un manque.

Les analogies affluent, les images se chevauchent.
Je les accepte, je les inscris, en vrac.
Les mots viennent dans une sorte de tohu-bohu, à l’intérieur duquel – plus tard, je le sais -, je découvrirai mon pain, mon eau; et comme une direction.

Rarement le poème m’est donné d’un trait.
En général, il m’arrive comme une matière brute, dans laquelle je fourrage et trouve, peu à peu, une ordonnance, des rapports, des sonorités.

Serrant les écrous, rejetant le plâtre, repoussant les écorces, je tente d’aller au plus près de ce mouvement initial qui fait écrire.
De ce mouvement qui – peut-être, tout simplement – fait vivre, en densité.

Souvent, très souvent, presque malgré moi, je me trouve en face des mêmes thèmes.
Balancement des contraires : obscur-clair, horreurs-beauté, grisaille-souffles, puits-ailes, dedans-dehors, chant et contre-chant.

Pouble-pays, en apparence; mais que la vie brasse, ensemble, inépuisablement.

Les mots, je les souhaite au service d’un sens (dont la raison ne rend jamais tout à fait compte).
Au service d’une signification qui puisse être partagée.
Ou – du moins – d’une question si primordiale, qu’elle pourrait être celle de tous, et de chacun.

Je m’attelle pour cela à un long travail d’éluci-dation; m’efforçant à la transparence des mots, cherchant pour autant à ne pas affadir le troublant mystère de la poésie, de la vie.

J’aime que le mot soit rétif.
Mot sur lequel on bute, et sans lequel le poème ne tiendrait pas.
J’aime le traquer ce mot, partout : dans la vie courante, dans d’autres textes, dans le journal, sur une affiche, dans le métro…
Soudain, il tombe comme un fruit mûr sur un sol en attente; ou se laisse capturer, comme l’oiseau, dans les filets patiemment tendus.

Ce mot que l’on sent juste (qui sonne juste, je lis haut pour l’oreille) fait que l’on peut quitter le poème, en repos.
On s’éloigne, libre; pour renaître, haletant, devant le texte à venir.

Rien de moins abstrait, de moins factice, que cette préoccupation.
Le corps, la circulation sanguine, la respiration s’en ressentent.

La poésie, par moments, nous grefferait-elle à la totalité, à l’ouvert?
A la vraie vie?

 

Andrée Chédid

 
 
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24/05/2022

La lettre

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Elle vient subrepticement, se pose

Neigeuse colombe

Sur la table d’écoute

Où palpitent d’invisibles murmures

Elle voudrait te tenir aux abords
De la merveille
Mais ajuste distance
Entre toi et sa déchirure

L’ouvrant

Tu portes les mots à tes yeux

Jusqu’à en oublier le tard

Et les calligraphies des ombres sur le mur

Tu lis

Au plus creux de tes jours

L’éternité

Trop courte pour l’étonnement.

Là-bas, de l’autre côté des vents
Il fait immensément calme

Hors du temps

Où les ombres n’assiègent plus

Où la mort n’atteint pas

Cette aube du regard hier recru de larmes

Ce hautbois

Ce chant détaché de sa branche

Ces cristaux de neige

La brume fibre à fibre se déchire
En volutes d’encens
S’élève des étangs

Chaque instant lesté d’éternel

Nous jubilons dans l’assemblée des arbres.

 

Gilles Baudry

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31/03/2022

Lumière pour l'homme aujourd'hui

Lumière pour l'homme aujourd'hui
qui viens depuis que sur la terre
il est un pauvre qui t'espère,
atteins jusqu'à l'aveugle en moi :
touche mes yeux afin qu'ils voient
de quel amour tu me poursuis.
Comment savoir d'où vient le jour
si je ne reconnais ma nuit ?

Parole de Dieu dans ma chair
qui dis le monde et son histoire
afin que l'homme puisse croire,
suscite une réponse en moi :
ouvre ma bouche à cette voix
qui retentit dans le désert.
Comment savoir quel mot tu dis
si je ne tiens mon coeur ouvert ?

Semence éternelle en mon corps
vivante en moi plus que moi-même
depuis le temps de mon baptême,
féconde mes terrains nouveaux :
germe dans l'ombre de mes os
car je ne suis que cendre encor.
Comment savoir quelle est ta vie
si je n'accepte pas ma mort ?

Didier Rimaud, "Les arbres dans la mer",
Paris, Desclée, 1975

16/03/2022

L'éphémère

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L'homme n'est qu'un souffle, une ombre qui passe.

Psaume 144,4

 

Printemps des Poètes 2022: Thème: l'Ephémère

14/02/2022

Saint Valentin

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Nous dormirons ensemble

Que ce soit dimanche ou lundi
Soir ou matin minuit midi
Dans l'enfer ou le paradis
Les amours aux amours ressemblent
C'était hier que je t'ai dit
Nous dormirons ensemble
C'était hier et c'est demain
Je n'ai plus que toi de chemin
J'ai mis mon cœur entre tes mains
Avec le tien comme il va l'amble
Tout ce qu'il a de temps humain
Nous dormirons ensemble
Mon amour ce qui fut sera
Le ciel est sur nous comme un drap
J'ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t'aime que j'en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble

— Louis Aragon,
Fou d'Elsa

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08/12/2021

La nuit de décembre

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LE POÈTE

Du temps que j’étais écolier,
Je restais un soir à veiller
Dans notre salle solitaire.
Devant ma table vint s’asseoir
Un pauvre enfant vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Son visage était triste et beau :
A la lueur de mon flambeau,
Dans mon livre ouvert il vint lire.
Il pencha son front sur sa main,
Et resta jusqu’au lendemain,
Pensif, avec un doux sourire.

Comme j’allais avoir quinze ans
Je marchais un jour, à pas lents,
Dans un bois, sur une bruyère.
Au pied d’un arbre vint s’asseoir
Un jeune homme vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Je lui demandai mon chemin ;
Il tenait un luth d’une main,
De l’autre un bouquet d’églantine.
Il me fit un salut d’ami,
Et, se détournant à demi,
Me montra du doigt la colline.

A l’âge où l’on croit à l’amour,
J’étais seul dans ma chambre un jour,
Pleurant ma première misère.
Au coin de mon feu vint s’asseoir
Un étranger vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Il était morne et soucieux ;
D’une main il montrait les cieux,
Et de l’autre il tenait un glaive.
De ma peine il semblait souffrir,
Mais il ne poussa qu’un soupir,
Et s’évanouit comme un rêve.

A l’âge où l’on est libertin,
Pour boire un toast en un festin,
Un jour je soulevais mon verre.
En face de moi vint s’asseoir
Un convive vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Il secouait sous son manteau
Un haillon de pourpre en lambeau,
Sur sa tête un myrte stérile.
Son bras maigre cherchait le mien,
Et mon verre, en touchant le sien,
Se brisa dans ma main débile.

Un an après, il était nuit ;
J’étais à genoux près du lit
Où venait de mourir mon père.
Au chevet du lit vint s’asseoir
Un orphelin vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Ses yeux étaient noyés de pleurs ;
Comme les anges de douleurs,
Il était couronné d’épine ;
Son luth à terre était gisant,
Sa pourpre de couleur de sang,
Et son glaive dans sa poitrine.

Je m’en suis si bien souvenu,
Que je l’ai toujours reconnu
A tous les instants de ma vie.
C’est une étrange vision,
Et cependant, ange ou démon,
J’ai vu partout cette ombre amie.

Lorsque plus tard, las de souffrir,
Pour renaître ou pour en finir,
J’ai voulu m’exiler de France ;
Lorsqu’impatient de marcher,
J’ai voulu partir, et chercher
Les vestiges d’une espérance ;

A Pise, au pied de l’Apennin ;
A Cologne, en face du Rhin ;
A Nice, au penchant des vallées ;
A Florence, au fond des palais ;
A Brigues, dans les vieux chalets ;
Au sein des Alpes désolées ;

A Gênes, sous les citronniers ;
A Vevey, sous les verts pommiers ;
Au Havre, devant l’Atlantique ;
A Venise, à l’affreux Lido,
Où vient sur l’herbe d’un tombeau
Mourir la pâle Adriatique ;

Partout où, sous ces vastes cieux,
J’ai lassé mon coeur et mes yeux,
Saignant d’une éternelle plaie ;
Partout où le boiteux Ennui,
Traînant ma fatigue après lui,
M’a promené sur une claie ;

Partout où, sans cesse altéré
De la soif d’un monde ignoré,
J’ai suivi l’ombre de mes songes ;
Partout où, sans avoir vécu,
J’ai revu ce que j’avais vu,
La face humaine et ses mensonges ;

Partout où, le long des chemins,
J’ai posé mon front dans mes mains,
Et sangloté comme une femme ;
Partout où j’ai, comme un mouton,
Qui laisse sa laine au buisson,
Senti se dénuder mon âme ;

Partout où j’ai voulu dormir,
Partout où j’ai voulu mourir,
Partout où j’ai touché la terre,
Sur ma route est venu s’asseoir
Un malheureux vêtu de noir,
Qui me ressemblait comme un frère.

Qui donc es-tu, toi que dans cette vie
Je vois toujours sur mon chemin ?
Je ne puis croire, à ta mélancolie,
Que tu sois mon mauvais Destin.
Ton doux sourire a trop de patience,
Tes larmes ont trop de pitié.
En te voyant, j’aime la Providence.
Ta douleur même est soeur de ma souffrance ;
Elle ressemble à l’Amitié.

Qui donc es-tu ? – Tu n’es pas mon bon ange,
Jamais tu ne viens m’avertir.
Tu vois mes maux (c’est une chose étrange !)
Et tu me regardes souffrir.
Depuis vingt ans tu marches dans ma voie,
Et je ne saurais t’appeler.
Qui donc es-tu, si c’est Dieu qui t’envoie ?
Tu me souris sans partager ma joie,
Tu me plains sans me consoler !

Ce soir encor je t’ai vu m’apparaître.
C’était par une triste nuit.
L’aile des vents battait à ma fenêtre ;
J’étais seul, courbé sur mon lit.
J’y regardais une place chérie,
Tiède encor d’un baiser brûlant ;
Et je songeais comme la femme oublie,
Et je sentais un lambeau de ma vie
Qui se déchirait lentement.

Je rassemblais des lettres de la veille,
Des cheveux, des débris d’amour.
Tout ce passé me criait à l’oreille
Ses éternels serments d’un jour.
Je contemplais ces reliques sacrées,
Qui me faisaient trembler la main :
Larmes du coeur par le coeur dévorées,
Et que les yeux qui les avaient pleurées
Ne reconnaîtront plus demain !

J’enveloppais dans un morceau de bure
Ces ruines des jours heureux.
Je me disais qu’ici-bas ce qui dure,
C’est une mèche de cheveux.
Comme un plongeur dans une mer profonde,
Je me perdais dans tant d’oubli.
De tous côtés j’y retournais la sonde,
Et je pleurais, seul, loin des yeux du monde,
Mon pauvre amour enseveli.

J’allais poser le sceau de cire noire
Sur ce fragile et cher trésor.
J’allais le rendre, et, n’y pouvant pas croire,
En pleurant j’en doutais encor.
Ah ! faible femme, orgueilleuse insensée,
Malgré toi, tu t’en souviendras !
Pourquoi, grand Dieu ! mentir à sa pensée ?
Pourquoi ces pleurs, cette gorge oppressée,
Ces sanglots, si tu n’aimais pas ?

Oui, tu languis, tu souffres, et tu pleures ;
Mais ta chimère est entre nous.
Eh bien ! adieu ! Vous compterez les heures
Qui me sépareront de vous.
Partez, partez, et dans ce coeur de glace
Emportez l’orgueil satisfait.
Je sens encor le mien jeune et vivace,
Et bien des maux pourront y trouver place
Sur le mal que vous m’avez fait.

Partez, partez ! la Nature immortelle
N’a pas tout voulu vous donner.
Ah ! pauvre enfant, qui voulez être belle,
Et ne savez pas pardonner !
Allez, allez, suivez la destinée ;
Qui vous perd n’a pas tout perdu.
Jetez au vent notre amour consumée ; –
Eternel Dieu ! toi que j’ai tant aimée,
Si tu pars, pourquoi m’aimes-tu ?

Mais tout à coup j’ai vu dans la nuit sombre
Une forme glisser sans bruit.
Sur mon rideau j’ai vu passer une ombre ;
Elle vient s’asseoir sur mon lit.
Qui donc es-tu, morne et pâle visage,
Sombre portrait vêtu de noir ?
Que me veux-tu, triste oiseau de passage ?
Est-ce un vain rêve ? est-ce ma propre image
Que j’aperçois dans ce miroir ?

Qui donc es-tu, spectre de ma jeunesse,
Pèlerin que rien n’a lassé ?
Dis-moi pourquoi je te trouve sans cesse
Assis dans l’ombre où j’ai passé.
Qui donc es-tu, visiteur solitaire,
Hôte assidu de mes douleurs ?
Qu’as-tu donc fait pour me suivre sur terre ?
Qui donc es-tu, qui donc es-tu, mon frère,
Qui n’apparais qu’au jour des pleurs ?

LA VISION

– Ami, notre père est le tien.
Je ne suis ni l’ange gardien,
Ni le mauvais destin des hommes.
Ceux que j’aime, je ne sais pas
De quel côté s’en vont leurs pas
Sur ce peu de fange où nous sommes.

Je ne suis ni dieu ni démon,
Et tu m’as nommé par mon nom
Quand tu m’as appelé ton frère ;
Où tu vas, j’y serai toujours,
Jusques au dernier de tes jours,
Où j’irai m’asseoir sur ta pierre.

Le ciel m’a confié ton coeur.
Quand tu seras dans la douleur,
Viens à moi sans inquiétude.
Je te suivrai sur le chemin ;
Mais je ne puis toucher ta main,
Ami, je suis la Solitude.

Alfred de Musset, Poésies nouvelles

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