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25/02/2017

James Noël, poète enragé

James Noël

24/02/2017

Le pain se fait nuit

     

nuit noire.jpg

   

à Jean Bouhier

La nuit, dans des faubourgs délayés par la pluie,
J’ai marché sur l’asphalte avec des inconnus
Qui tenaient bon, qui se taisaient
Qui m’acceptaient tel que je suis.
Le jour venu, j’ai vu des hommes par milliers,
Sans mot dire, comme des plantes,
Recouvrir la marelle inerte de la terre
Et celle, absurde, de mes songes.

Et j’ai senti que je germais dans ce silence,
Qu’on attendait mon grain, que je n’étais pas seul
Puisque j’avais des mains pour prendre et pour donner.

Depuis, je ne sais plus si j’écris un poème
Ou si je fais aller la cloche de mon cœur
Sous l’océan des mots gâtés par la mémoire,

Mais je sais que ma voix est faite pour l’oreille
Et qu’on l’entend, comme j’entends chanter sous terre
Le boulanger blafard qui fait son pain la nuit.

*

Pour les hommes, pas d’autre église que ce pain
Qu’on prend à bras-le-corps comme une fiancée.
Elle aura pour vitraux les losanges du blé,
Le rouge ce sera celui de vos yeux rouges,
Repasseuses ! Vigies ! Gens des mines ! Le bleu
Celui de vos mains bleues de veines et de peines,
Mères flétries, maçons qui mangez sur le pouce,
Laboureurs, tâcherons, vieux chevaux de retour
Qui marchez pesamment au bras du petit jour.

*

J’ai vu des hommes par milliers comme des plantes.
Mais libres de mourir ou d’imposer au ciel
La fédération immense de leurs sèves
Et je les ai choisis, qui choisissaient eux-mêmes
L’Inespéré, dès lors qu’ils me tendaient la main.

C’était l’aurore et nous allions manger le pain
Qu’on fait la nuit – comme l’amour et les poèmes.

 

Poème de Jean Rousselot extrait de "Il n’y a pas d’exil", Seghers, 1954).

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11/02/2017

Intensité

soins.jpg

4 heures du matin.

Dans ma chambre.

Soins intensifs.

 

Moi déshabillé de mes sécurités.

Moi nu désincarné.

Je décline tous les quarts d’heure

comme une leçon de latin

mon identité,

le calendrier,

et l’état des lieux.

 

On me prend la tension, la  température.

On vérifie mes réflexes.

 

Avec le bip des machines

je n’ai pas entendu le chant du coq.

Peut-être n’a-t-il pas chanté ?

 

Je pense. Je parle. Je bouge.

 

Je suis.

 

Accepter.

Habiter ce corps cloué au lit

qui souffre

 

***

 

Rouge soleil levant.

Impressions pascales.

Mais aussi

aurore d’un orage qui secoue son drap

dans ma tête en tempête.

 

Et si c’était un coup de (la) grâce ?

Dimanche, Jour du Seigneur.

Mais ironie du sort,

dimanche de la santé aussi.

Tout va bien.

Tout est bien.

 

TP  extrait de "Bon sang" inédit 2014

 

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02/02/2017

Blessé d'amour

amour.jpg

Ô mon Dieu, vous m'avez blessé d'amour

Ô mon Dieu, vous m'avez blessé d'amour
Et la blessure est encore vibrante,
Ô mon Dieu, vous m'avez blessé d'amour.

Ô mon Dieu, votre crainte m'a frappé
Et la brûlure est encor là qui tonne,
Ô mon Dieu, votre crainte m'a frappé.

Ô mon Dieu, j'ai connu que tout est vil
Et votre gloire en moi s'est installée,
Ô mon Dieu, j'ai connu que tout est vil.

Noyez mon âme aux flots de votre Vin,
Fondez ma vie au Pain de votre table,
Noyez mon âme aux flots de votre Vin.

Voici mon sang que je n'ai pas versé,
Voici ma chair indigne de souffrance,
Voici mon sang que je n'ai pas versé.

Voici mon front qui n'a pu que rougir,
Pour l'escabeau de vos pieds adorables,
Voici mon front qui n'a pu que rougir.

Voici mes mains qui n'ont pas travaillé,
Pour les charbons ardents et l'encens rare,
Voici mes mains qui n'ont pas travaillé.

Voici mon coeur qui n'a battu qu'en vain,
Pour palpiter aux ronces du Calvaire,
Voici mon coeur qui n'a battu qu'en vain.

Voici mes pieds, frivoles voyageurs,
Pour accourir au cri de votre grâce,
Voici mes pieds, frivoles voyageurs.

Voici ma voix, bruit maussade et menteur,
Pour les reproches de la Pénitence,
Voici ma voix, bruit maussade et menteur.

Voici mes yeux, luminaires d'erreur,
Pour être éteints aux pleurs de la prière,
Voici mes yeux, luminaires d'erreur.

Hélas ! Vous, Dieu d'offrande et de pardon,
Quel est le puits de mon ingratitude,
Hélas ! Vous, Dieu d'offrande et de pardon,

Dieu de terreur et Dieu de sainteté,
Hélas ! ce noir abîme de mon crime,
Dieu de terreur et Dieu de sainteté,

Vous, Dieu de paix, de joie et de bonheur,
Toutes mes peurs, toutes mes ignorances,
Vous, Dieu de paix, de joie et de bonheur,

Vous connaissez tout cela, tout cela,
Et que je suis plus pauvre que personne,
Vous connaissez tout cela, tout cela,

Mais ce que j'ai, mon Dieu, je vous le donne.

 

Paul Verlaine

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31/01/2017

La peau du poème

desert de lune.jpg

Et la peau

la peau du poème

pommade pour peau mate

texte tissu pour mercure

 

les rides sont des dunes

quand revient la pleine lune

écrire creuse le sillon

des âges et des blessures

 

et quand la mort fera sa piqûre

on videra le baume du flacon

pour la douce sépulture

du poète et de sa peau

 

poésie

 

extrait d'un poème inédit

TP

 

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25/01/2017

Sous l'aile du jour

gbaudry.jpgVoici une voix(/e) « basse » et pourtant si haute, qui libère une autre cène que la scène des devants médiatiques. Moine poète, Gilles Baudry vit au bout du monde, à l’extrême pointe du monde, à son avant (avent), dans l’abbaye bénédictine de Landévennec, là où finissent les terres d’Occident, celles de la religion du soir et de la résurrection : « Ne devrions-nous pas marcher / Comme si la mort / Était derrière nous ? » Sous l’aile du jour rassemble près d’une cinquantaine de poèmes méditatifs écrits sur la pointe de l’âme et des pieds, dans l’ombre clandestine de la contemplation. Ici, l’écriture n’est point divertissement, mais au contraire perpétuelle conversion du regard contre toute acédie. Celui qui oriente le pèlerin d’Emmaüs de l’absolu n’est pas un Être éthéré volant dans les hautes sphères, mais ce Dieu minuscule au pied du plus humble au point d’en paraître invisible. Ici, les mots sont une ascèse, un exercice d’assouplissement spirituel pour passer sous la porte la plus basse : « Sortir de soi / par la porte des humbles. » La parole est le partage d’une sorte de cène intime et universelle. Tous les êtres (« artistes » ou non) y sont conviés. Tous en sont les bergers et les rois mages. Ainsi, le moine glisse-t-il ses pages bien aérées, bruissant légèrement au creux de l’oreille intérieure, comme des prières de remerciement, à ceux qui l’ont inspiré, qui ont redonné souffle à la Parole de résurrection – humaine lumière de Pierre Bonnard, rayonnement humble de Giorgio Morandi, bleu profond d’Alfred Manessier, dru dépouillement d’Alberto Giacometti, mais aussi bien ce merle aperçu dans le blanc de la neige, la lueur d’une larme ou ce parfum de paradis traversant un visage aimé à tel point que les anges semblent soudain jaloux, comme L’ange oublieux de Paul Klee : « Se demandant s’il doit / Ou non réduire l’envergure de ses ailes / Depuis que ce n’est plus en lui / Mais en nous-mêmes / Qu’un horizon se donne en héritage. »

Yves Leclair
 
 
Je ferai une note de lecture personnelle sur ce nouveau recueil de Gilles Baudry.

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