12/08/2014
Je veux écrire
Je veux écrire pour la beauté du regard, pour la pureté du langage. Je veux écrire pour essayer de rejoindre le vieil horizon, si net, pareil à un fil, et le ciel clair au-dessus de la mer. Je veux écrire pour être près des nuages blancs dans le ciel sombre, près de la lumière serrée du soleil, près des cimes des montagnes, là où seuls vont les éperviers. Je veux essayer d’être immédiatement là où mon regard se termine, là où il s’agrandit et reçoit sa joie. Je veux écrire pour être du côté des animaux, des enfants, du côté de ceux qui voient le monde tel qu’il est, qui connaissent toute sa beauté. Pour essayer de trouver une parcelle de cette vertu qui ne m’a pas été donnée à la naissance, mais qu’un visage de femme, ou d’enfant, au hasard de la foule un jour m’a montrée, comme le reflet d’une lueur étrangère aussi belle que le jour. Je veux écrire pour que cette clarté dure encore quelques instants, pour que le monde réel, vivace, reste encore quelques secondes dans la musique des mots. (…)
Je veux écrire pour une autre parole, qui ne maudisse pas, qui n’exècre pas, qui ne vicie pas, qui ne propage pas de maladie. Quand le monde, à l’aube, est tendu, transparent et pur comme une gemme, air clair, mer bleue, rochers étincelants, ciel immense, horizon où les vagues sont visibles ; quand le monde, à midi, est parcouru de terrible victorieuse lumière, et que les arbres sont incendiés, et que l’asphalte mou reçoit les marques de pneu des voitures ; quand le monde glisse dans le crépuscule du soir lentement, s’apaise parmi ombres et fumées ; quand le monde est dans la nuit noire, froide et dense, et que rutilent les milliers d’étoiles, quelquefois, une seule lune… Comment alors peut-on désirer autre chose, comment peut-on dire autre chose ? Pourquoi l’homme a-t-il trahi le monde ?
J.M.G Le Clezio, dans "Inconnu sur la terre"
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11/08/2014
Musique
Lorsque tout nous paraît désespéré, lorsqu’un ciel d’azur, une nuit étoilée ne parviennent même plus à éveiller notre enthousiasme.
Lorsque nous ne savons plus quel auteur lire, il arrive bien souvent que surgissent des trésors de notre mémoire : un lied de Schubert, une mesure de Mozart, un accord entendu dans une messe, une sonate – Mais nous ne savons plus où et quand.
Leur clarté nous arrache alors à notre indifférence et leurs mains aimantes viennent se poser sur nos plaies douloureuses… Ah, que serait notre existence sans la musique !
Hermann Hesse
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28/06/2014
La parabole du vitrail
Un vitrail dans la nuit est un mur opaque,
aussi sombre que la pierre
dans laquelle il est enchâssé.
Il faut la lumière
pour faire chanter la symphonie des couleurs
dont les rapports constituent sa musique.
C’est en vain que l’on décrirait ses couleurs,
c’est en vain que l’on décrirait le soleil
qui les fait vivre.
On ne connaît l’enchantement du vitrail
qu’en l’exposant à la lumière qui le révèle
en transparaissant à travers sa mosaïque de verre.
Notre nature est le vitrail enseveli dans la nuit.
Notre personnalité est le jour qui l’éclaire
et qui allume en elle un foyer de lumière.
Mais ce jour n’a pas sa source en nous.
Il émane du Soleil,
du Soleil vivant qui est la Vérité en personne.
C’est ce Soleil vivant que les hommes cherchent
dans leurs ténèbres.
Ne leur parlons pas du Soleil,
cela ne leur servira de rien.
Communiquons-leur sa présence
en effaçant en nous tout ce qui n’est pas de lui.
Maurice Zundel
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27/06/2014
Ostentation
Ostensoir, ostentation, tentation. Ces quelques réflexions de Maurice Zendel dans un écrit de 1963 sont intéressantes quelques jours après la Fête-Dieu et un retour des processions d'antan. Voici ce qu'il dit:
Il est évident que, si l’homme de la rue est si souvent complètement étranger à ce qui ‘se passe dans nos églises, c’est parce qu’il ne s’y passe aucun événement susceptible de le toucher tant soit peu. II ne s’y sent aucunement atteint et concerné au plus intime de lui-même.
Il y a une religion apparente qui ne suppose aucun engagement profond. Cela est extrêmement grave, et nous pouvons nous demander jusqu’à quel point ce n’est pas à propos de l’Eucharistie qu’on en est arrivé à une confusion aussi radicale sur l’essence même du message de Jésus.
Une sorte de matérialisme religieux, le pire de tous; peut tragiquement s’établir autour de l’Eucharistie : on a un palladium, un paratonnerre céleste, sur la maison, on peut dormir tranquille, Dieu est là dans sa petite boîte et on le tient constamment à sa disposition.
S’est-on suffisamment interrogé sur la valeur de nos communions? sur la valeur de celles des petits enfants ? Que donnent-elles ? Que changent-elles ?
Dans les communions sans engagement, où l’on compte sur l’opus operatum (un effet immanquablement produit du fait que l’on reçoit le sacrement), dans les communions où mécaniquement l’on doit être sanctifié parce qu’on a ouvert la bouche ou tendu la main pour recevoir l’hostie : il y a là quelque chose d’extrêmement dangereux parce qu’on ne voit plus du tout l’exigence qui est à la base d’une véritable conversion, et qui suppose une nouvelle naissance; on ne voit plus l’exigence de la communion qui implique cette transformation radicale où l’on passe du moi possessif au moi oblatif. Combien de prêtres même qui célèbrent la messe tous les jours peuvent, peut-être, en être encore là ?
Resituer l’Eucharistie dans la perspective évangélique
Il nous faut donc resituer l’Eucharistie, il faut la situer là où la vie de l’Église doit retrouver son unité, il faut la situer à sa place, c’est-à-dire dans la perspective évangélique qui s’impose à nous dans les derniers entretiens du Seigneur avec ses disciples.
La dernière consigne qui retentit en toutes les pages du récit johannique, c’est que "vous vous aimiez les uns les autres comme je vous ai aimés". Et cette consigne est aussi le critère qui fait reconnaître les disciples de jésus : "C’est à cela que l’on reconnaîtra que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres."
Et, pour donner une leçon de choses à ses disciples, Jésus leur lave les pieds. "Voilà ce que c’est que d’aimer son prochain : ce que j’ai fait, c’est afin que vous vous le fassiez vous-mêmes les uns aux autres."
Aussi curieux que cela paraisse, l’Eucharistie semble avoir disparu, elle n’est même pas nommée en cet endroit : pourquoi ? Parce qu’elle est implicitement contenue dans ce mandatum (ce lavement des pieds). Elle est implicitement contenue et dans le mandatum et dans la consigne ultime du Seigneur, "Aimez-vous les uns les autres", parce que c’est exactement la même chose.
"Il vous est bon que je m’en aille"
Rappelons-nous cette parole tragique de Jésus au cours du discours après la Cène : "Il vous est bon que je m’en aille car, si je ne m’en vais pas, le Paraclet, l’Esprit Saint, ne viendra pas à vous." Comment ne pas voir dans ces paroles l’aveu d’un échec ? Jésus n’a converti personne… personne ! Ni la foule, ni les prêtres, ni les autorités, ni Hérode, ni ses disciples, ni même le disciple bien-aimé qui s’endormira comme les autres tout à l’heure au jardin de l’Agonie : il n’a converti personne.
Et l’appel suprême qu’il adresse à ses disciples au lavement des pieds restera sans écho : ils ne comprennent pas que le royaume de Dieu est au-dedans d’eux-mêmes.
Ils ne comprendront pas que c’est pour faire éclore ce royaume intérieur que Jésus se met à genoux devant eux pour leur laver les pieds, et ils ne comprennent pas davantage que c’est pour desceller la pierre de nos coeurs que Jésus meurt sur la croix. Et la dernière question qu’ils poseront à Jésus juste avant l’Ascension sera significative de cette totale incompréhension.
L’humanité de jésus doit donc disparaître! Et ce n’est que dans l’invisible, dans le feu de la Pentecôte, qu’ils retrouveront leur Maître comme une présence intérieure à eux, ils ne le verront plus désormais devant eux mais au-dedans d’eux, et c’est à ce moment-là qu’ils le reconnaîtront. Peut-on dès lors imaginer un seul instant que Notre Seigneur nous ait donné l’Eucharistie pour que nous refabriquions avec ce sacrement un culte idolâtrique, pour que nous puissions le posséder là, à la portée de notre main, en l’enfermant dans une boîte pour qu’il soit bien à nous ? Peut-on concevoir un pareil matérialisme de la part du Seigneur ? Peut-on imaginer qu’il ait dérobé sa présence visible aux Apôtres pour nous restituer dans l’hostie un foyer d’idolâtrie, comme si nous pouvions disposer de Dieu comme on le fait d’un objet ? C’est absolument impossible, c’est exactement le contraire qui se passe quand Jésus nous donne l’Eucharistie.
Maurice Zundel
La Rochette, 1963
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11/05/2014
Performances
Le culte de la performance revêt de nos jours un caractère impitoyable. Un divorce, la perte d’un emploi sont ressentis comme des échecs personnels graves. (…) Une conversion du regard s’impose. Il est temps d’admettre que, non seulement l’échec n’est pas un drame, mais qu’il peut bien souvent devenir un événement positif. Son premier atout, qui est loin d’être négligeable, consiste à nous remettre dans une attitude d’humilité face à la vie. Il nous contraint à accepter la vie telle qu’elle est et non pas telle que nous la voulons ou la rêvons. La vraie souffrance naît de notre résistance au changement, au mouvement de la vie, à son flux. Alors réjouissons-nous quand il y a des hauts ; et quand des bas se présentent, acceptons-les et faisons en sorte qu’ils nous servent de tremplins.
Frédéric Lenoir
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23/04/2014
Faire parler sa vie
Témoigner avec sa vie: des millions d'inconnus s'y emploient. Leur absolue discrétion nous parle. Peut-être même qu'elle nous sauve.
JC Guillebaud dans le Bloc-notes de La Vie du 14 avril 2014
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