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05/06/2020

La poésie, notre refuge

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Gilbert Lely disait de l’œuvre de Lautréamont qu’« elle est la seule qui pourrait être feuilletée sans ridicule une heure avant la fin du monde… »

Une heure avant la fin du monde : c’est le sentiment que beaucoup d’entre nous ont éprouvé pendant le temps de confinement. Et avec cette impression, un immense besoin de poésie. J’entends par là, la soif d’une vérité de parole dont nous pensions, hier encore, que nous pouvions la liquider sans état d’âme. Nous avions la certitude qu’en troquant la profondeur pour la frivolité, la joie pour le plaisir, l’être pour l’avoir, nous serions débarrassés à jamais des questions qui fâchent et des inquiétudes de l’âme. Mais, réduits au silence et à l’immobilité, privés de tout ce qui nous tenait lieu de distraction et de tranquillisant, et dès lors contraints à nous chercher – qui étions-nous, que voulions-nous –, nous avons su que rien de ce qui nous était imposé comme les clés du bonheur n’aurait jamais le pouvoir de nous consoler.

Mais la poésie, oui, elle a ce pouvoir. Yves Bonnefoy l’avait évoqué lors d’une de mes visites rue Lepic, il y a quelques années. Lui qui se défendait de croire en Dieu et parlait volontiers des peintures gothiques, de Byzance et de Fra Angelico, m’avait répété ce qu’il avait écrit dans un chatoiement de formes différentes, mais toujours avec la même lumière : « Je voudrais réunir, je voudrais identifier presque la poésie et l’espoir. » J’avais été éblouie par la formule et ce qu’elle ressaisissait d’évidence : la poésie nous offre un refuge lorsque nous voulons entendre ou dire, au plus juste, ce que nous voyons dans notre traversée du temps et de ses tragédies. De là que la Poésie est le contraire de la parole marketing, le contraire des fausses informations, le contraire de la propagande politicienne. Les politiques le savent qui ont mis à mal nombre de poètes, ainsi, pour le seul XXe siècle, Ossip Mandelstam en URSS, Robert Desnos en France, et tant d’autres, de Paul Celan à Anna Akhmatova. Comme le temps, elle est complice de la vérité, de là la tentation de la nier, d’interdire ses perspectives.

De là encore qu’elle s’oppose à « l’horreur économique », comme l’a exprimé Rimbaud, et nous ramène à la vérité de la parole. Elle rend aux mots l’âme de ce qu’ils nomment une âme toujours intacte, souligne encore Yves Bonnefoy (1). C’est la raison pour laquelle, nous en ressentons le besoin, en ces temps plus que jamais. En cela, la Poésie partage avec la religion et le sacré, sans se confondre avec eux, le pouvoir de nous replacer à la fois dans ce qu’il y a de plus concret et de plus ineffable : elle nous unit, par le verbe, aux émotions du monde.

Aujourd’hui, où je parle d’elle, je voudrais rendre deux hommages. Le premier, à mon cher ami Salah Stétié, qui m’avait dit qu’à ses yeux toute femme était Marie. Il a disparu le 19 mai dernier et repose désormais au côté de Blaise Cendrars, qu’il admirait. Salah Stétié a fêté le poète comme un voyageur « témoin de l’essentiel » (2). Libanais, il a reverdi, en français, le dialogue immémorial entre poésie et mystique, Orient et Occident, éclairant tour à tour chacun des deux à la lumière de l’autre.

L’Orient à celle du Romantisme allemand, l’Occident aux lueurs de Byzance. Musulman, sunnite, il était proche des chrétiens et souffrait dans sa chair qu’on tue au nom de sa religion ; il donnait à son refus une raison précise, une raison de poésie : l’amour de la vie.

Mon deuxième hommage est pour Jean Lavoué, poète et essayiste, et le très beau livre (3) qu’il a consacré au poète breton René Guy Cadou, (1920-1951) qui avait consolé sa femme et ses amis de sa mort à 31 ans par ces mots : « Le temps qui m’est donné, que l’amour le prolonge. » Voilà, ressuscitée sous la plume de Jean Lavoué, l’œuvre prolongée de ce jeune homme, qui a accompli le vœu de Bonnefoy : « Réunir, identifier presque la poésie et l’espoir. » Ce qui émeut dans ce livre, c’est aussi ce passage de témoin d’un poète à l’autre, de celui qui, doté « d’une puissance d’éveil sans pareil » devient pour le second, Jean Lavoué, « un témoin privilégié de ce qu’être habité par le mystère de l’Autre signifie et signifiera de plus en plus en ces temps de croyances vacillantes ».

« Mon Dieu, éveille-Toi, je suis Ton serviteur », priait René Guy Cadou. Il convient de déchiffrer ce poème à la façon que préconisait Armel Guerne :

« On ne lit pas un poète pour se prendre aux paroles, se captiver aux mots, mais pour aller où ils disent : l’œuvre n’est pas en eux, mais dans l’itinéraire vivant dont ils sont la légende. »

Christiane Rancé  La Croix du 4 Juin 2020

(1) L’Improbable, Folio, Gallimard. (2) En un lieu de brûlure, Bouquins, Robert Laffont. (3) René Guy Cadou, La fraternité au cœur, blog « L’enfance des arbres ».

15/05/2020

Verte Venise

Il y a un an paraissait "Verte Venise", des poèmes sur le Marais Poitevin.

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Le marais ne prête pas l’oreille

aux rumeurs de la ville.

 

Celui qui ne sait pas se taire

n’en est pas digne.

 

Ce qui monte de lui

est un silence habité.

 

Ce qui descend des arbres

un frisson inouï

 

dans le temps qui suspend

tout bavardage.

 

TP

 

16:00 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

09/05/2020

Qu'est-ce qu'un poète?

 
jp siméon.jpgLe fou des mots, voilà une rubrique que "Marianne" dédie au mot. Descendre dans la langue française, plonger dans les classiques, saluer les contemporains, retourner l’étymologie comme on retourne la terre. Le poète Jean-Pierre Siméon se demande, précisément, ce qu'est un poète, ce qu'il peut comme ce qu'il ne peut pas.

Je suis poète . Allons donc, qu’est-ce qu’un poète, ce rêveur des bords de rivière et des matins qui chantent, peut bien avoir à dire de sérieux dans des circonstances aussi graves que celles que, immobiles, nous traversons ? C’est aujourd’hui n’est-ce pas l’heure de la pensée rigoureuse et des experts en tout genre, infectiologues, virologues, psychologues , sociologues, tous les machinologues qui divisent la réalité en fragments pour mieux la maîtriser je suppose.

Le poète n’a aucune expertise et surtout pas en matière de virus couronné ou de gestes barrières et il ne prétend nullement à une maîtrise du réel. Mais pour peu que l’on veuille bien admettre que ledit réel n’est pas qu’une affaire d’atomes et de molécules et que vivre et mourir ne se réduisent pas à la gestion de mécanismes objectifs que conceptualisent les machinologues en tout genre, et que toute vie humaine d’autre part se signale par la conscience simultanément effarée et désirante du chemin qu’elle doit s’inventer dans la profondeur mystérieuse d’un réel qui la dépassera toujours, alors le poète a en toutes circonstances son mot à dire.

L'écho le plus juste et le plus nécessaire

 
Ce qu’il dit peut fort bien, paradoxalement, n’avoir aucun rapport exact avec l’actualité du moment et en être cependant l’écho le plus juste et le plus nécessaire, voyez le récent succès du poème Couvre-feu d’Eluard sur le net. C’est que la parole du poète prend en charge cette part du réel qui ne relève d’aucun savoir constitué et que le discours des experts préoccupés des faits et des effets de surface manquent à tout coup: c’est le réel en nous filtré et recomposé par la pensée, le sentiment, l’émotion, la sensation. Appelons ça les effets de profondeur.
Que l’événement induit mais qui échappent à l’événement. Et dont le poème est la transcription et l’occasion du partage. Or il se trouve que dans une vie d’homme il n’y a jamais que deux événements, l’amour et la mort, le sommet d’intensité de la vie ou sa disparition, quelles que soient les formes visibles et variables de ces événements. Est-il utile de rappeler qu’on lit souvent des poèmes à l’occasion d’un mariage ou d’un enterrement ?

L’événement d’aujourd’hui c’est la mort

L’événement d’aujourd’hui c’est la mort. Ou plutôt l’irruption de la conscience de la mort dans la vie, cela qui redistribue les cartes de l’existence et est depuis toujours la raison d’être de la poésie et sans doute sa définition ultime. Tout poème a pour arrière-pays la mort ou quelqu’un de ses avatars, la solitude, la perte, l’exil, la chute...et dit simultanément le prix exorbitant de la vie et des infinies beautés de ses apparitions. Ce que formulait ainsi René Char: "La lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil".
Lisez à peu près n’importe quel poème, fût-il écrit il y a mille ans, il y a de fortes chances qu’il consonne à l’état émotionnel collectif du moment : tout poème vibre de la vie qu’il porte dans la prémonition de sa perte. "Il n’aurait fallu / Qu’un instant de plus / Pour que la mort vienne..." , cet incipit d’Aragon est pour le poète l’incipit de chaque instant.
Ce principe du prix de la vie dans la mort dont procède tout poème est par ailleurs le fondement d’une conception de l’existence et de la vie humaine que depuis toujours, au-delà de ses formes et fonctions diverses, la poésie inlassablement propose. On ne l’a jamais vraiment prise au sérieux parce qu’elle contrevient radicalement aux attendus constants du développement des sociétés humaines depuis l’aube des temps : un progrès dont les fins et les moyens sont l’avoir, le pouvoir et le paraître et dont le libéralisme marchand mondialisé est par exemple le triomphe.

une autre manière d’habiter le monde pour programme

La poésie n’est évidemment ni l’exposé systématique ni le programme mais l’intuition et l’argumentaire implicite d’une autre manière d’habiter le monde. Il y a mille façons d’habiter poétiquement le monde dont chacun fait possiblement l’expérience, même sans crise virale, dans ces heures de parenthèse qui suspendent sa vie mercenaire ou qui s’essaient dans ces chemins d’existence alternatifs que beaucoup s’inventent depuis toujours en contrebande.
Elles ont pour dénominateurs communs le refus du primat de l’avoir sur l’être, de la relation de pouvoir à l’autre, l’autre humain, la nature et les animaux même ( Rimbaud dans la fameuse lettre du Voyant), de l’imposture qui décide de la valeur de l’être dans le paraître. Cela a tout à voir avec l’affaire du coronavirus qui est un nouveau symptôme après beaucoup d’autres d’un mauvais usage du monde, littéralement mortifère, cette fois la preuve est immédiate et flagrante .
Penser un autre usage du monde, à l’opposé exact de l’ordre ancien, est donc bien une urgence sauf pour ceux qui comme Luc Ferry, curieux philosophe à la pensée confinée dans l’idéologie qui l’arrange, prennent en panique les devants pour affirmer que l’après doit continuer l’avant, business as usual, et que c’est l’option la plus raisonnable (cf. Le Figaro du 30 mars). On voit où mène le genre de raison qu’il invoque. Monsieur Ferry, pour qui sans aucun doute tout était naguère pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles à part un éventuel mal de dent, prétend en quelque sorte qu’il faut avoir le sens des réalités.

le sens des réalités va contre le sens de la réalité

Je tiens pour ma part, comme le poète Georges Perros, que "le sens des réalités va contre le sens de la réalité". Je doute certes que l’objection d’un poète ébranle la ferme certitude de Monsieur Ferry pour qui la poésie relève probablement du quart d’heure de récitation à l’école ou de la cerise sur le gâteau des vieilles humanités. N’est-ce pas lui qui nommé en 2002 ministre de l’Education nationale décida d’emblée de supprimer les deux tiers de la subvention du Printemps des Poètes naissant ?

Refonder notre relation au monde individuellement et collectivement selon un principe poétique sine qua non n’est ni simple ni confortable, c’est même d’évidence un risque comme toute liberté prise avec les vérités admises . Il y a heureusement des philosophes qui n’hésitent pas à ce risque. C’est par exemple aujourd’hui l’heure exacte pour lire ou relire l’Eloge du risque d’Anne Dufourmantelle, cet extraordinaire bréviaire de la vie indexée à l’insatiable désir d’inconnu et dont chaque page offre l’exemple d’une pensée qui au péril de son courage réfute toute assignation à résidence du sens, donc à la résignation.
On y lit par exemple ceci : "Sacrifierons-nous encore et toujours davantage à nos appétits affamés de pouvoir et de maîtrise technologique, ou aurons-nous l’audace de reprendre en nous la responsabilité d’une difficile liberté qui ne se risque qu’à mesure où elle se trouve menacée ?"
 
 
 
 
 
 

06/05/2020

Un homme à la mer

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Les marins, souvent, ne savent pas nager

L'océan est si vaste

 

Moi, je ne sais pas prier

 

Mais la mer fait danser les bateaux

Et moi, je fais la planche

Histoire de regarder le ciel

Et me faire les yeux bleus, blancs et noirs

Et parfois lumineux.

 

François Clairambault

dans "Les anges transparents"

Ed L'enfance des arbres 2019

16:00 Publié dans Poèmes | Lien permanent | Commentaires (0)

17/04/2020

Vendredi de Pâques

03/04/2020

Miserere

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Psaume : 50

3 Pitié pour moi, mon Dieu, dans ton amour,
selon ta grande miséricorde, efface mon péché.
4 Lave-moi tout entier de ma faute,
purifie-moi de mon offense.

5 Oui, je connais mon péché,
ma faute est toujours devant moi.
6 Contre toi, et toi seul, j’ai péché,
ce qui est mal à tes yeux, je l’ai fait.

Ainsi, tu peux parler et montrer ta justice,
être juge et montrer ta victoire.
7 Moi, je suis né dans la faute,
j’étais pécheur dès le sein de ma mère.

8 Mais tu veux au fond de moi la vérité ;
dans le secret, tu m’apprends la sagesse.
9 Purifie-moi avec l’hysope, et je serai pur ;
lave-moi et je serai blanc, plus que la neige.

10 Fais que j’entende les chants et la fête :
ils danseront, les os que tu broyais.
11 Détourne ta face de mes fautes,
enlève tous mes péchés.

12 Crée en moi un cœur pur, ô mon Dieu,
renouvelle et raffermis au fond de moi mon esprit.
13 Ne me chasse pas loin de ta face,
ne me reprends pas ton esprit saint.

14 Rends-moi la joie d’être sauvé ;
que l’esprit généreux me soutienne.
15 Aux pécheurs, j’enseignerai tes chemins ;
vers toi, reviendront les égarés.

16 Libère-moi du sang versé, Dieu, mon Dieu sauveur,
et ma langue acclamera ta justice.
17 Seigneur, ouvre mes lèvres,
et ma bouche annoncera ta louange.

18 Si j’offre un sacrifice, tu n’en veux pas,
tu n’acceptes pas d’holocauste.
19 Le sacrifice qui plaît à Dieu,
   c’est un esprit brisé ; *
tu ne repousses pas, ô mon Dieu,
   un cœur brisé et broyé.

20 Accorde à Sion le bonheur,
relève les murs de Jérusalem.
21 Alors tu accepteras de justes sacrifices,
   oblations et holocaustes ; *
alors on offrira des taureaux sur ton autel.