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31/10/2011

Le départ

Le départ

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Traînant leurs pas après leurs pas
Le front pesant et le cœur las,
S’en vont, le soir, par la grand’ route,
Les gens d’ici, buveurs de pluie,
Lécheurs de vent, fumeurs de brume.

Les gens d’ici n’ont rien de rien,
Rien devant eux
Que l’infini de la grand’ route.

Chacun porte au bout d’une gaule,
Dans un mouchoir à carreaux bleus,
Chacun porte dans un mouchoir,
Changeant de main, changeant d’épaule,
Chacun porte
Le linge usé de son espoir.

Les gens s’en vont, les gens d’ici,
Par la grand’ route à l’infini.

L’auberge est là, près du bois nu,
L’auberge est là de l’inconnu ;
Sur ses dalles, les rats trimbalent
Et les souris.

L’auberge, au coin des bois moisis,
Grelotte, avec ses murs mangés,
Avec son toit comme une teigne,
Avec le bras de son enseigne
Qui tend au vent un os rongé.

Les gens d’ici sont gens de peur :
Ils font des croix sur leur malheur
Et tremblent ;
Les gens d’ici ont dans leur âme
Deux tisons noirs, mais point de flamme,
Deux tisons noirs en croix.

Les gens d’ici sont gens de peur ;
Et leurs autels n’ont plus de cierges
Et leur encens n’a plus d’odeur :
Seules, en des niches désertes,
Quelques roses tombent inertes
Autour d’un Christ en plâtre peint.

Les gens d’ici ont peur de l’ombre sur leurs champs,
De la lune sur leurs étangs,
D’un oiseau mort contre une porte ;
Les gens d’ici ont peur des gens.

Les gens d’ici sont malhabiles,
La tête lente et les cerveaux débiles
Quoique tannés d’entêtement ;
Ils sont ladres, ils sont minimes
Et s’ils comptent c’est par centimes,
Péniblement, leur dénuement.

Avec leur chat, avec leur chien,
Avec l’oiseau dans une cage,
Avec, pour vivre, un seul moyen :
Boire son mal, taire sa rage ;
Les pieds usés, le cœur moisi,
Les gens d’ici,
Quittant leur gîte et leur pays,
S’en vont, ce soir, vers l’infini.

Les mères traînent à leurs jupes
Leur trousseau long d’enfants bêlants,
Trinqueballés, trinqueballants ;
Les yeux clignants des vieux s’occupent
À refixer, une dernière fois,
Leur coin de terre morne et grise,
Où mord l’averse, où mord la bise,

Où mord le froid.
Suivent les gars des bordes,
Les bras maigres comme des cordes,
Sans plus d’orgueil, sans même plus
Le moindre élan vers les temps révolus
Et le bonheur des autrefois,
Sans plus la force en leurs dix doigts
De se serrer en poings contre le sort
Et la colère de la mort.

Les gens des champs, les gens d’ici
Ont du malheur à l’infini.

Leurs brouettes et leurs charrettes
Trinqueballent aussi,
Cassant, depuis le jour levé,
Les os pointus du vieux pavé :
Quelques-unes, plus grêles que squelettes,
Entrechoquent des amulettes
À leurs brancards,
D’autres grincent, les airs criards,
Comme les seaux dans les citernes ;
D’autres portent de vieillottes lanternes.

Les chevaux las
Secouent, à chaque pas,
Le vieux lattis de leur caresse ;
Le conducteur s’agite et se tracasse,
Comme quelqu’un qui serait fou,
Lançant parfois vers n’importe où,
Dans les espaces,
Une pierre lasse
Aux corbeaux noirs du sort qui passe.

Les gens d’ici
Ont du malheur - et sont soumis.

Et les troupeaux rêches et maigres,
Par les chemins râpés et par les sablons aigres,
Également sont les chassés,
Aux coups de fouet inépuisés.

Des famines qui exterminent :
Moutons dont la fatigue à tout caillou ricoche,
Bœufs qui meuglent vers la mort proche,
Vaches lentes et lourdes
Aux pis vides comme des gourdes.

Ainsi s’en vont bêtes et gens d’ici,
Par le chemin de ronde
Qui fait dans la détresse et dans la nuit,
Immensément, le tour du monde,
Venant, dites, de quels lointains,
Par à travers les vieux destins,
Passant les bourgs et les bruyères,
Avec, pour seul repos, l’herbe des cimetières,
Allant, roulant, faisant des nœuds
De chemins noirs et tortueux,
Hiver, automne, été, printemps,
Toujours lassés, toujours partant
De l’infini pour l’infini.

Tandis qu’au loin, là-bas,
Sous les cieux lourds, fuligineux et gras,
Avec son front comme un Thabor ;
Avec ses suçoirs noirs et ses rouges haleines
Hallucinant et attirant les gens des plaines,
C’est la ville que la nuit formidable éclaire,
La ville en plâtre, en stuc, en bois, en fer, en or,
- Tentaculaire.

Émile Verhaeren, Les Campagnes hallucinées

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28/10/2011

Offrande du matin

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Offrande du matin


Je vous offre, mon Dieu, cette aube qui se lève

Avec toute sa grâce et toutes ses clartés.

Je vous offre la brume opaque qui s’élève

Et dégage là-bas les sommets argentés.


Je vous offre le chant des oiseaux et la brise

Qui prend tous les parfums des fleurs à leur réveil.

La romance du flot qui vient du large et brise

Sa frange aux dents du roc que chauffe le soleil.


Je vous offre, mon Dieu, toute la lassitude

Et toute la douleur des yeux qui vont s’ouvrir.

Je vous offre le cœur de cette multitude

Qui recommencera tout à l’heure à souffrir.


Je vous offre mon âme et toutes les pensées

Qui s’agitent en vain au fond de mon esprit,

Mes rêves, mes désirs, pauvres ailes brisées

Qui portèrent trop loin mon cœur endolori...


Mon Dieu, recevez tout, mes ennuis et mes peines,

Pour ce jour qui commence et qu’un autre suivra.

Je veux m’abandonner confiante et sereine,

Ô Père, entre vos bras !

Millicent, Campanules, 1923.
voir ici pour auteur

21/10/2011

Tu me proposes, fenêtre étrange ...

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Tu me proposes, fenêtre étrange, d'attendre ; 
déjà presque bouge ton rideau beige. 
Devrais-je, ô fenêtre, à ton invite me rendre ? 
Ou me défendre, fenêtre ? Qui attendrais-je ?

Ne suis-je intact, avec cette vie qui écoute, 
avec ce coeur tout plein que la perte complète ? 
Avec cette route qui passe devant, et le doute 
que tu puisses donner ce trop dont le rêve m'arrête ?

Rainer Maria RILKE

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20/10/2011

Le brouillard

 

 

brouillard.jpg

 

Le brouillard

Le brouillard a tout mis
Dans son sac de coton ;
Le brouillard a tout pris
Autour de ma maison.

Plus de fleurs au jardin,
Plus d'arbres dans l'allée ;
La serre des voisins
Semble s'être envolée.

Et je ne sais vraiment
Où peut s'être posé
Le moineau que j'entends
Si tristement crier.

Maurice CARÊME (1899 - 1978)

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19/10/2011

La danse de la terre

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Wanir Wélépane est un poète et homme d'église (pasteur) calédonien kanak, né en 1941. Son prénom "Wanir" signifie "petite lumière" en kanak.
Il est l'auteur du recueil de textes multilingues "Aux vents des îles", accompagnés de photographies de Marie-Jacqueline Begueu (édité par l'Agence de développement de la culture kanak en 1993).

Kwènyii
Wêê
Numèè
Caac
Le mât est planté sur la terre
Dans l'aire de danse
Pour annoncer au peuple la danse sacrée
Prenez vos conques
Soufflez sur les montagnes
Soufflez sur les airs
Soufflez dans les forêts
Et dans les vallées
Pour appeler tout le monde
A danser la danse de la terre.

Wanir Wélépane, (texte emprunté à l'anthologie "Le français est un poème qui voyage" - Éditions Rue du Monde, 2006)

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16/10/2011

Homme

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HOMME

Tu as jeté au loin  ta peau  de bête originelle,

Tu as arraché tes mains de la terre

Et les as lancées vers le ciel.

Tu t’es élevé  et sur ta tête fière

Sur ton front s’est versé  le soleil.

Tes doigts agiles ont ensorcelé la pierre,

Le bois et les métaux et l’onde claire,

Tu as dompté le vent sauvage,

Et asservi le feu que tu as rendu sage.

La matière devenue machine et,  à ton gré,

A travaillé, couru et traversé l’espace

En hurlant ta puissance à la face

du Monde émerveillé,

Tu as donné la mort, tu as donné la vie,

De ton souffle la Gloire a jailli.

Quand ta voix rauque a appelé l’amour,

Elle s’est fondue en une douce mélodie

Sur les champs et les fleurs alentour.

Les battements de ton cœur résonnent

dans les roseaux sous la lune claire,

Tu entends leurs  douces homélies,

Devant toi le monde s’éclaire

Mais ton âme garde en son sein ton  envie,

Un règne sans limite, majestueux, sans voile,

Telle une immensité enceinte d’une étoile.

Contemplant ton œuvre du  sommet de Babylone,

Tu défies le Ciel, en lui lançant, arrogant, ton nom: HOMME !

Ö, combien j’ allumerais, au sommet des montagnes

De grands  feux de joies,

je carillonnerais  mille et mille fois,

à travers l’espace tes louanges,

Je te porterais sur mon dos jusqu’à l’apothéose,

Je serais ton adorateur,  et danserait jusqu’à l’osmose

En d’éternelles  danses bachiques et étranges.

Ö Frère, cher et aimé

Ô Frère pitoyable,

Ô Frère  haïssable,

Ô Frère mille fois pleuré,

Nourri de l’essence de mon cœur,

Ma honte et ma douleur : HOMME !

Las !  L’hymne glorieux se délite, et saigne

Les feux de joie s’endorment sous les cieux

Leur fumée brûlent tes yeux,

Les cloches s’éteignent

Les fleurs,  trempées dans le venin

Sa fanent,  merveilles sans lendemain.

Que reste-t-il à admirer ?

La  beauté du geste  qui tue ?

Qui adorer ?

L’Ange déchu ?

Que chanter ?

Des plaintes et gémissements dans l’ombre?

Que danser ?

Le bal de la mort sur les décombres? .

Pourquoi même parler ? Tu le sais bien, l’horreur

Des mots blesseraient  l’orateur.

Las, tout est vain !

La seule voie pour fuir ton erreur

Est de partir, sans fin,

Loin de toi, se réfugier dans les yeux innocents

Des animaux fidèles, dans la douce ramure s’élançant

Vers le ciel immense, puis,  sans repère,

Et enfin  te terrer dans le tragique silence de la pierre..

Koloman KALOCSAY, poète d'Océanie

( traduction  de l'esperanto de L. SCHUELLER-LEROY et Pierre HUMBERT )

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